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L'illusion du libre-arbitre
La notion de libre-arbitre
désigne le pouvoir qu'a la volonté de se décider en toute indépendance.
Elle choisit d'elle-même sans se référer à aucune autre détermination.
C'est un acte souverain. D'habitude, nous agissons par nécessité,
ou par passion, ou par peur, et non par notre "volonté"...car
"il le fallait bien"...
AU BORD DE LA CASCADE.
« - En contemplant une chute d'eau, nous croyons voir dans les
innombrables ondulations, serpentements, brisements des vagues, liberté
de la volonté et caprice, mais tout y est nécessité:
chaque mouvement peut se calculer mathématiquement. Il en est
de même pour les actions humaines; on devrait, si l'on était
omniscient, pouvoir calculer d'avance chaque action, et de même
chaque progrès de la connaissance, chaque erreur, chaque méchanceté.
L'homme agissant Iui- même est, il est vrai, dans l'illusion du
libre arbitre ; si, un instant, la roue du monde s'arrêtait et
qu'il y eût là une intelligence calculatrice omnisciente
pour mettre à profit cette pause, elle pourrait continuer à
calculer l'avenir de chaque être jusqu'aux temps les plus éloignés
et marquer toute trace où cette roue passerait désormais.
L'illusion sur soi-même de l'homme agissant, la conviction de
son libre arbitre, appartient également à ce mécanisme,
qui est objet de calcul. »
(NIETZSCHE, Pour servir à l'histoire des sentiments moraux,
§106)
LA FABLE DE LA LIBERTÉ INTELLIGIBLE.
Le non-sens de l'«idée» du libre arbitre, réfuté
en dernier lieu, a été enseigné, sous le nom de
«liberté intelligible», par Kant et peut-être
déjà par Platon.
« Schopenhauer opposait à
cela le raisonnement suivant : puisque certains actes entraînent
après eux du regret («conscience de la faute»), il
faut qu'il y ait responsabilité : car ce regret n'aurait aucune
raison, si non seulement toutes les actions de l'homme se produisaient
nécessairement - comme elles se produisent en effet d'après
l'opinion même de ce philosophe, - mais que l'homme lui-même
fût, avec la même nécessité, justement l'homme
qu'il est - ce que Schopenhauer nie. Du fait de ce regret, Schopenhauer
croit pouvoir prouver une liberté que l'homme doit avoir eue
de quelque manière, non pas à l'égard des actes,
mais à l'égard de l'être : liberté, par conséquent,
d'être de telle ou telle façon, non d'agir de telle ou
telle façon. L'esse, la sphère de la liberté
et de la responsabilité, a pour conséquence, suivant lui,
l'operari, la sphère de la stricte causalité, de
la nécessité et de l'irresponsabilité. Ce regret
se rapporterait bien en apparence à l'operari et en ce
sens il serait erroné, - mais en vérité à
l'esse, qui serait l'acte d'une volonté libre, la cause
fondamentale d'existence d'un individu : l'homme deviendrait ce qu'il
voudrait devenir, son vouloir serait antérieur à son existence.
- Il y a ici, abstraction faite de l'absurdité
de cette dernière affirmation, un paralogisme
: à savoir que, du fait du regret, on conclut d'abord à
la justification, et à l'admissibilité rationnelle de
ce regret, et ce n'est qu'à partir de ce paralogisme que Schopenhauer
arrive à la conséquence fantaisiste de la soi-disant liberté
intelligible. (Dans son essai sur le libre-arbitre, il semble qu'il
ait corrigé cette absurdité). Mais le regret postérieur
à l'action n'a pas besoin d'être fondé en raison,
il ne l'est même pas du tout, car il repose sur la supposition
erronée que l'action n'aurait pas dû se produire nécessairement.
En conséquence, c'est seulement parce que l'homme se tient pour
libre, non parce qu'il est libre, qu'il ressent le repentir et le remords.
- En outre, ce regret est chose dont on peut se déshabituer;
chez beaucoup d'hommes, il n'existe pas du tout pour des actes à
propos desquels beaucoup d'autres le ressentent. Il est une chose très
variable, liée à l'évolution de la morale et de
la civilisation, et qui peut-être n'existe que pendant une période
relativement courte de l'histoire du monde. - Personne n'est responsable
de ses actes; personne ne l'est de son être ; juger a la même
valeur qu'être injuste. Cela est vrai aussi lorsque l'individu
se juge lui-même. Cette proposition est aussi claire que la lumière
du soleil, et cependant tout homme aime mieux alors retourner aux ténèbres
et à l'erreur, par crainte des conséquences. »
(Nietzsche, Humain, trop humain)
IRRESPONSABILITÉ ET INNOCENCE.
- La complète irresponsabilité de l'homme à l'égard
de ses actions et de son être est la goutte la plus amère
que doive avaler le chercheur, lorsqu'il a été habitué
à voir les lettres de noblesse de son humanité dans la
responsabilité et le devoir. Toutes ses appréciations,
ses désignations, ses penchants sont, de ce fait, devenus sans
valeur et faux : son sentiment le plus profond, celui qu'il portait
au martyr, au héros, s'est avéré erroné
; il n'a plus le droit de louer, ni de blâmer, car il ne rime
à rien de louer ni de blâmer la nature et la nécessité.
De même qu'il aime une belle reuvre, mais ne la loue pas parce
qu'elle ne peut rien par elle-même; tel il est devant une plante,
tel il doit être. »(NIETZSCHE, in Humain trop humain,
§107)
Conclusions :
Le libre-arbitre est une illusion totale car cela consiste à croire
que nous agissons souverainement alors que nous sommes entièrement conditionnés,
souvent impulsifs, plus attachés à nos désirs qu'à
nos idéaux, à nos principres. La souveraineté de la volonté
est un leurre dû à notre vanité.
« L'histoire des sentiments en
vertu desquels nous rendons quelqu'un responsable, partant des sentiments
dits moraux, parcourt les phases principales suivantes. D'abord on nomme
des actions isolées bonnes ou mauvaises sans aucun égard
à leurs motifs, mais exclusivement par les conséquences
utiles ou fâcheuses qu'elles ont pour la communauté. Mais
bientôt on oublie l'origine de ces désignations, et l'on
s'imagine que les actions en soi, sans égard à leurs conséquences,
enferment la qualité de « bonnes » ou de «
mauvaises » : pratiquant la même erreur qui fait que la
langue désigne la pierre comme dure, l'arbre comme vert - par
conséquent en prenant la conséquence pour cause. Ensuite
on reporte le fait d'être bon ou mauvais aux motifs, et l'on considère
les actes en soi comme moralement ambigus. On va plus loin, et l'on
donne l'attribut de bon ou de mauvais non plus au motif isolé,
mais à l'être tout entier d'un homme, lequel produit le
motif comme le terrain produit la plante. Ainsi l'on rend successivement
l'homme responsable de son influence, puis de ses actes, puis de ses
motifs, enfin de son être même. On découvre finalement
que cet être lui-même ne peut être rendu responsable,
étant une conséquence absolument nécessaire et
formée des éléments et des influences d'objets
passés et présents : partant, que l'homme n'est à
rendre responsable de rien, ni de son être, ni de ses motifs,
ni de ses actes, ni de son influence. On est ainsi amené à
reconnaître que l'histoire des évaluations morales est
aussi l'histoire d'une erreur, de l'erreur de la responsabilité
: et cela, parce qu'elle repose sur l'erreur
du libre arbitre. » (NIETZSCHE "
Le crépuscule des idoles ")
paralogisme, raisonnement
faux et de bonne foi.
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