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Le sexe et l'éveil
« La chaleur
et le feu indiquent, sur le plan de la physiologie mystique, le réveil
d'une puissance magico-religieuse. Des textes tantriques précisent
que cette chaleur magique est obtenue par la transmutation de l'énergie
sexuelle. (...) Le Bouddha est brûlant parce qu'il pratique l'ascèse,
le tapas. Le sens initial de ce terme était d'ailleurs chaleur
extrême, mais tapas a fini par désigner l'effort ascétique
en général. » Mircea Eliade.
Tantra Yoga
La tentative d'une libération
par le sexe se précise et s'affirme dans l'art de la transmutation
sexuelle qui s'apparente à la tradition alchimique, et qui trouve
son expression achevée dans le tantrisme. La force sexuelle
est considérée comme la manifestation d'un autre pouvoir
plus profond. L'acte divin qui gouverne le cosmos est représenté
par un axe vertical immobile et le cours de la nature s'enroule autour
de cet axe, réalisant chaque tour un nouveau plan, un nouveau degré
d'existence. C'est le symbole primordial serpent qui s'enroule autour
de l'arbre du monde. (Tous les symboles concernant la nature procèdent
de la spirale ou du cercle.) Le rythme des déroulements successifs
de la nature ou du solve et coagula alchimique, est représenté
par la double spirale qui est aussi la représentation de la Shakti.
Le serpent désigne l'énergie subtile dans toutes les civilisations
traditionnelles. L'éveil de la Shakti dans le microcosme humain
est comparé à l'éveil d'un serpent (Kundalini)
qui se trouvait jusqu'alors lové dans un centre subtil situé
à la base de la colonne vertébrale et appelé muladhara.
Le corps de l'homme est une chaîne de centres psychiques ou chakras
situés par allègement à la colonne vertébrale,
au nombre de sept. Ces centres psychiques sont des accumulateurs de substances
énergétiques différentes et ont à la fois
un aspect endocrinien (glandulaire) et nerveux (neuronal). Ils sont représentés
par des mandalas qui illustrent les différents états de
la matière auxquels ils correspondent.
Dans le tantrisme hindou, le
symbolisme est le suivant :
- l'état solide, carré de couleur jaune, dans le lotus inférieur
à quatre pétales;
- l'état liquide, cercle blanc, dans le lotus à six pétales,
niveau des organes génitaux;
- l'état rouge incandescent, triangulaire et à huit pétales
auprès du nombril;
- l'état aérien vert et en demi-lune, dans le lotus à
douze pétales du cœur;
- l'éther, de couleur grise et de forme impalpable, est logé
près de la gorge ;
- le lotus à deux pétales entre les sourcils et le lotus
à mille pétales au-dessus du crâne dont le rayonnement
rassemble la totalité de toutes les couleurs existantes.
L'art tantrique consiste
à utiliser l'énergie sexuelle en vue d'atteindre un état
supérieur de conscience.
Kundalini dort, recouvrant
de sa bouche le passage par lequel on peut atteindre la libération.
Les pratiques du Yoga ont pour but d'éveiller ce serpent femelle.
Aussi longtemps qu'il est endormi, l'être reste semblable à
l'animal et le vrai savoir n'émerge pas. A mesure qu'il s'éveille,
il pénètre dans les lotus supérieurs jusqu'au sommet
où il rencontre la semence virile de l'être et s'unit à
lui dans l'acte sexuel. Ainsi l'illumination correspondrait à une
nouvelle naissance, à une fécondation (pour certains, à
la mise en activité de la glande pinéale). A partir de là,
l'être entrerait dans une nouvelle dimension, et exercerait sa volonté
de manière différente sur la matière. Kundalini
se divise en deux courants subtils, Idâ et Pingalâ
qui s'enroulent en sens opposé. Ce n'est que lorsqu'elles atteignent
le seuil supérieur de la conscience individuelle que ces deux forces
se dissolvent en elle. En alchimie, ces deux serpents sont le soufre et
le mercure.
- Pingalâ est dite chaude et sèche, caractérisée
par la couleur rouge et comparée au Soleil comme le soufre alchimique.
- ldâ est considérée comme froide et humide,
et associée à la Lune par sa pâleur (argent).
Le contrôle d'idâ
et Pingalâ relève des techniques de respiration. Les
pratiques tantriques pour éveiller la force subtile et la
faire progresser de centres en centres, sont extrêmement développées
et ressortissent aux expressions artistiques remarquables - les mandalas
sont des images rituelles destinées à stimuler l'activité
mentale, à mettre en jeu les forces psychosomatiques. Il s'agit
non seulement de les contempler, mais de les intégrer, d'absorber
en quelque sorte leur force. Le mantra utilise la puissance du
son, car tout est vibration dans l'univers. Le plus puissant et le plus
ancien des mantras hindous est Om ou Aum que le yogi doit
apprendre à faire résonner d'un bout à l'autre de
la colonne de cristal qui traverse le corps subtil.
Enfin, l'acte sexuel lui-même,
pratiqué entre deux partenaires conscients, conduit à la
réalisation de l'unité. L'homme et la femme ordinaires
deviennent des personnifications de Çiva et Çakti,
ils perdent les limites de la personnalité ordinaire et égotique,
ils s'identifient au dieu. Les mouvements qui accompagnent le rapport
sexuel doivent devenir un yoga. La femme, porteuse d'énergie,
a un rôle essentiel. Certains rites exigent que les rapports
sexuels aient lieu pendant les menstruations, époque où
son énergie femelle rouge est à son apogée, ou encore
dans des lieux qui évoquent la mort. Selon certaines traditions,
la semence virile doit être éjaculée dans le yoni
féminin, comme une offrande d'huile sacrée dans la flamme
d'un autel.
L'orgasme physique réel
des deux partenaires devient une extase par l'art raffiné du Yoga.
Selon d'autres traditions, l'orgasme est réfréné
et l'énergie sublimée remonte alors le long des canaux subtils.
Dans chaque cas, la yogini doit être instruite du rôle qu'elle
doit jouer : elle est la femme divine, le principe passif universel, elle
devient elle-même Çakti, et en termes aIchimiques,
la seconde partie de l'androgyne. Le néophyte qui pratique
le maithuna, l'amour de dévotion sans émission
séminale, doit contrôler sa pensée, sa respiration
et son éjaculation. De cette manière, l'union sexuelle devient
une union divine. Préparé à l'accomplissement du
rite (maithuna) par la méditation et les cérémonies
qui le rendent possible et fructueux, le yogi considère la yogini
sa compagne et son amante, sous le nom d'une bhagavat quelconque comme
le substitut et l'essence même de Tarâ, source unique de joie
et de repos. L'amante synthétise toute la nature féminine,
elle est la mère, la sœur, l'épouse, la fille.
Le rituel du cercle tantrique,
ou chakrapuya, ou culte du cercle, est une forme d'orgie sacrée.
Il se célèbre la nuit dans une pièce consacrée
au culte. Un cercle d'un certain rayon est tracé sur sol. A l'intérieur
du cercle est inscrit un diagramme mystique ou yantra. A l'intérieur
du diagramme, s'assied l'hôte et à la gauche de l'hôte
sa çakti. Le rituel est fondé sur les cinq m qui
sont : madya : le vin; mansa : la viande; atsya
: le poisson;, mudra : la céréale et maithuna
: le rapport sexuel. Successivement, le vin puis les mets sont consacrés,
et la libation commence.
Selon certains écrits,
la boisson doit être limitée, dans d'autres cas l'orgie peut
devenir dionysiaque, le but étant de mettre le fidèle dans
un état au-delà de toute limite. Selon Arthur Avallon
(la Puissance du serpent), ces abus doivent s'interpréter
à partir du principe homéopathique de la destruction du
mal par le mal. Ici, Çiva propose le poison qui extirpe le poison...
une légère erreur dans l'administration du poison peut entraîner
un résultat fatal. A ce sujet, Çiva dit que le chemin du
rite Kaula est plus périlleux qu'il ne l'est de marcher sur le
tranchant d'un sabre ou d'étreindre le cou d'un tigre.
L'expression "chevaucher
le tigre" est souvent reprise à propos du tantrisme. Celui
qui chevauche le tigre prend le risque de se laisser désarçonner
par lui et d'être mangé. De même, celui qui pratique
le tantrisme sans la préparation nécessaire ni le savoir
intérieur, devient ivrogne ou libertin. L'art tantrique consiste
donc à utiliser l'énergie sexuelle en vue d'atteindre un
état supérieur de conscience.
Il est dit dans le texte que
cette pratique est particulièrement réservée au Kali-Yuga,
le dernier des quatre âges, l'âge malfaisant. Les hommes de
cet âge sont marqués par leurs tendances dépravées.
Ils aiment ce qui est mauvais et détestent ce qui est bon; le devoir
religieux est négligé et les hommes font montre d'une soif
insatiable de plaisirs sensuels. Les rois persécutent leurs sujets,
et les sujets fomentent des rébellions contre les règlements.
Les nations font la guerre aux nations et tous périssent de mort
violente.
Les brahmanes délaissent
l'étude des Védas pour la poursuite des plaisirs et de la
richesse, et les hommes de basse naissance usurpent les trônes des
vertueux monarques au sang noble. L'amitié dégénère
en exploitation mutuelle et le désir se limite à l'accouplement
de l'homme et de la femme.
Les tantras qui allient le plaisir
et le mérite religieux sont seuls à même d'aider les
hommes du Kali-Yuga. Cependant, les dangers sont aussi plus grands que
dans toute autre méthode : les sentiments et les plaisirs tendent
à l'homme les plus grands pièges, et leur transmutation
relève d'une grande maîtrise. Si l'acte d'amour humain le
plus banal est un reflet de l'acte cosmique, ce n'est que dans la mesure
où il tend vers la plénitude, qu'il se rapproche de l'acte
divin primordial.
La déesse de l'amour créateur
a deux visages. Sous la forme de Kali, elle est ténébreuse,
destructrice, sanglante : cet autre aspect de la vie doit être accepté,
compris, intégré par le tantriste. Il prend conscience aussi
qu'il n'est pas un mais multiple, qu'il participe de l'un et l'autre sexe
et, dans un éclair d'intuition, il perçoit d'une certaine
façon que le corps humain contient tout l'univers. Pendant longtemps
dans les pratiques tantriques l'homme et la femme se complètent
mutuellement. Ce n'est qu'à l'issue d'une longue expérience
d'échanges mutuels que l'un ou l'autre peut accomplir les rites
tantriques dans leur intégralité.
Julius Evola, philosophe et orientaliste
italien, donne une étude particulièrement documentée
du tantrisme dans son livre, le Yoga tantrique. Il considère
qu'il s'agit là d'une voie actuelle même si elle doit être
réservée à un petit nombre. Il reprend le même
thème dans la Métaphysique du sexe : le sexe, voie
royale de la connaissance intérieure et de l'illumination, se retrouve
dans toutes les traditions, sauf dans le judaïsme et le christianisme
(encore qu'il y ait, dans certains symboles juifs et chrétiens,
une sublimation de cette démarche métaphysique). La connaissance
de la sexualité ouvre à l'individu qui la pratique les portes
du spirituel. Dans notre époque affectée d'une luxure cérébrale
chronique - dans notre civilisation du ventre - est-il possible de transformer
le poison en remède, de redonner au sexe une dimension transcendantale
?
La plus grande force magique
de la nature ne saurait se dégrader entièrement. Même
dans l'étreinte banale, il y a une ouverture au-delà des
conditions de l'existence individuelle, un traumatisme de l'orgasme qui
ouvre sur l'infini. Dans l'amour profane vécu avec suffisamment
d'intensité, des phénomènes de transcendance apparaissent.
Mais ce n'est que dans les pratiques de l'amour sacré que l'énergie
sexuelle est véritablement utilisée à une fin d'éveil
par connaissance des énergies subtiles et conscience de l'union
des fluides.
Evola évoque les grands
mystères d'été à Samothrace, quand la grande
prêtresse parcourait les rangs des initiés, nue, un serpent
enroulé autour de son corps, et soudain possédée,
simulait des scènes d'un violent érotisme. Après
cette union avec le serpent, la grande prêtresse appelait à
elle l'un des initiés et s'unissait à lui publiquement :
l'instant était solennel. L'orgasme atteint par l'homme sans émission
de sperme constituait l'instant de la grande communion cosmique, de la
fusion universelle.
Autre exemple, celui de la prostitution
sacrée dans certaines sectes islamiques du Maghreb. Elle doit conduire
l'initié à l'orgasme intérieur. Si l'homme répand
sa semence, sa compagne s'enfuit en larmes, sous les invectives des prêtres
et de ses compagnes.
Le rituel du cercle tantrique,
ou chakrapuya, ou culte du cercle, est une forme d'orgie sacrée.
Il se célèbre la nuit dans une pièce consacrée
au culte. Un cercle d'un certain rayon est tracé sur sol. A l'intérieur
du cercle est inscrit un diagramme mystique ou yantra. A
l'intérieur du diagramme, s'assied l'hôte et à la
gauche de l'hôte sa çakti. Le rituel est fondé sur
les cinq m qui sont madya : le vin, mansa : la viande,
atsya : le poisson, mudra : la céréale et
maithuna : le rapport sexuel. Successivement, le vin puis
les mets sont consacrés, et la libation commence.
Selon certains écrits,
la boisson doit être limitée, dans d'autres cas l'orgie peut
devenir dionysiaque, le but étant de mettre le fidèle dans
un état au-delà de toute limite. Selon Arthur Avallon
(la Puissance du serpent), ces abus doivent s'interpréter
à partir du principe homéopathique de la destruction du
mal par le mal. Ici, Çiva propose le poison qui extirpe le poison...
une légère erreur dans l'administration du poison peut entraîner
un résultat fatal. A ce sujet, Çiva dit que le chemin du
rite Kaula est plus périlleux qu'il ne l'est de marcher sur le
tranchant d'un sabre ou d'étreindre le cou d'un tigre.
La comparaison entre chevaucher
le tigre et la position du Kama-Soutra est souvent reprise
à propos du tantrisme. Celui qui chevauche le tigre prend
le risque de se laisser désarçonner par lui et d'être
mangé. De même, celui qui pratique le tantrisme sans la préparation
nécessaire ni le savoir intérieur, devient ivrogne ou libertin.
Cependant, les dangers sont aussi
plus grands que dans toute autre méthode : les sentiments et les
plaisirs tendent à l'homme les plus grands pièges, et leur
transmutation relève d'une grande maîtrise. Si l'acte d'amour
humain le plus banal est un reflet de l'acte cosmique, ce n'est que dans
la mesure où il tend vers la plénitude, qu'il se rapproche
de l'acte divin primordial.
La déesse de l'amour créateur
a deux visages. Sous la forme de Kali, elle est ténébreuse,
destructrice, sanglante : cet autre aspect de la vie doit être accepté,
compris, intégré par le tantriste. Il prend conscience aussi
qu'il n'est pas un mais multiple, qu'il participe de l'un et l'autre sexe
et, dans un éclair d'intuition, il perçoit d'une certaine
façon que le corps humain contient tout l'univers. Pendant longtemps
dans les pratiques tantriques l'homme et la femme se complètent
mutuellement. Ce n'est qu'à l'issue d'une longue expérience
d'échanges mutuels que l'un ou l'autre peut accomplir les rites
tantriques dans leur intégralité.
Août 2000 
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