Ce qu'il y a de
bien avec Nietzsche, c'est qu'il dit tout lui-même. Pourquoi il
est si avisé, pourquoi il écrit de si bons livres, pourquoi
il est un génie, pourquoi il est un destin. Il déclare
ceci à la fin de Ecce homo :
« Un jour, mon nom sera associé au souvenir de quelque chose
de prodigieux - à une crise comme il n'y en eut jamais sur terre, à
la plus profonde collision de conscience, à un verdict inexorablement
rendu contre tout ce qu'on avait jusqu'alors cru, réclamé, sanctifié.
Je ne suis pas un être humain, je suis de la dynamite. Et, avec tout
cela, il n'y a rien en moi d'un fondateur de religion. Les religions
sont affaire de populace, et après avoir été en contact d'hommes de
religion, j'éprouve le besoin de me laver les mains... Je ne veux pas
de «croyants», je crois que j'ai trop de malice pour «croire» moi-même
en moi. Et je ne m'adresse jamais aux masses... J'ai une peur panique
que l'on aille un beau jour me canoniser. Je ne veux pas être un saint,
plutôt encore un pitre... Peut-être suis-je un pitre... Et cependant,
ou plutôt, pas cependant - car, jusqu'ici, il n'y a rien de plus mensonger
que les saints - c'est la vérité qui parle par ma bouche. Mais ma vérité
est terrible, car jusqu'à présent, c'est le mensonge que l'on baptisait
vérité. - Inversion de toutes les valeurs : c'est ma formule pour désigner
un acte de suprême retour sur soi-même de l'humanité, acte qui en moi
s'est fait chair et génie. Mon sort est de devoir être le premier homme
convenable, de me savoir en contradiction avec le mensonge invétéré
de plusieurs millénaires. Je suis le premier à avoir découvert la vérité,
par le seul fait que je suis le premier à avoir senti - à avoir flairé
- le mensonge comme mensonger... Tout mon génie est dans mes narines...
J'apporte la contradiction comme on ne l'a jamais fait, et je suis malgré
tout le contraire d'un esprit négateur. Je suis le messager de bonne
nouvelle comme il n'en fut jamais, je connais des tâches si hautes que
la notion même n'existait pas avant moi. Ce n'est qu'à partir de moi
qu'il est à nouveau des espérances. Avec tout cela, je suis aussi, nécessairement,
l'homme de la fatalité. Car lorsque la vérité engagera la lutte contre
le mensonge millénaire, nous connaîtront des ébranlements, des convulsions
séismiques et les bouleversements tectoniques tels que nous n'en avons
jamais rêvé qui déplaceront montagnes et vallées. L'idée de politique
se sera alors résorbée en une guerre des esprits, toutes les formes
de pouvoir de l'ancienne société se seront volatilisées - car toutes
reposent sur le mensonge ; il y aura des guerres comme il n'y en a jamais
eu sur terre. Ce n'est qu'à partir de moi qu'il y aura sur terre une
grande politique.» (Extrait de : Ecce
Homo ; Pourquoi je suis un destin).
Malheureusement, ce livre-testament a été censuré.
On sait maintenant que des
passages importants ont été détruits par Peter
Gast, par la mère et par la sœur de Nietzsche, censurant
la version définitive d'Ecce Homo. Lire à ce sujet
la Préface de Paolo D'Ioro
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