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« Le Sens de la terre. Penser l’écologie avec Nietzsche »

Cet essai novateur de Benoît Berthelier retravaille plusieurs thèmes centraux de la pensée de Nietzsche, afin de transformer les perspectives de l’écologie (*)

NIETZSCHE AU SECOURS DE L’ÉCOLOGIE

Le projet est surprenant. Trouver chez Nietzsche (1844-1900) des éléments décisifs pour repenser notre rapport à la terre et à la vie future n’a rien d’évident. L’auteur du Gai savoir n’a rien su des bouleversements de l’anthropocène. Réchauffement climatique global, effondrement de la biodiversité, épuisement des ressources fossiles, crise de l’eau lui furent inconnus. En outre, plutôt que de respecter les faits scientifiques, il a incité à les mettre en cause. Enfin, loin de prôner décroissance et restrictions, il a pourfendu les idéaux ascétiques et glorifié la volonté de puissance. En quoi pourrait-il donc nous aider ?

Au premier regard, on trouve aisément, chez Nietzsche, de quoi combattre les travers des discours écologiques – tristesse, puritanisme, moraline…– mais pas grand-chose pour les rendre plus intelligents, plus aigus, plus mobilisateurs. Cette situation n’incomberait pas à Nietzsche mais à nous, qui le lirions mal, sans précision ni acuité. C’est ce que fait voir brillamment le premier livre d’un jeune philosophe, Benoît Berthelier, réussissant à la fois un coup d’éclat et une démonstration salutaire. Normalien, agrégé de philosophie, actuellement lecteur de français à Oxford, il signe, avec Le Sens de la terre, un essai passionné et souvent passionnant. On y découvre, pas à pas, comment les enseignements de Zarathoustra pourraient jouer un rôle de premier plan pour sortir des impasses où notre époque macère.

Le travail ne consiste évidemment pas à extraire de l’immense corpus nietzschéen une philosophie écologique prête à l’emploi, que personne n’aurait discernée. Il s’agit plutôt de repérer – et de retravailler, avec Nietzsche, et parfois contre lui – plusieurs thèmes centraux de sa pensée, afin de transformer les perspectives de l’écologie, en les conduisant bien au-delà du catastrophisme et des apologies de la décroissance. Car l’essentiel ne se jouerait pas autour des contraintes, mais bien autour de la puissance, de la vie entièrement terrestre et de la fin du nihilisme.

Plaidoyer pour plus de vie

Benoît Berthelier revisite plusieurs couples de notions jouant chez Nietzsche un rôle crucial – « humain-surhumain », « proche-lointain », « mort de Dieu-sens de la terre », notamment – et met en lumière leur pertinence envers les multiples questions, souvent piégées, auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés. Il soutient ainsi que l’écologie n’a d’avenir qu’en devenant « volonté de puissance » – ce qui ne signifie pas d’abord domination ni autorité, mais bien construction d’une vie désirable, plus intense, tendue vers un avenir qui fasse fortement envie. Il explique également comment Zarathoustra permet de penser à la fois les « choses proches » indispensables à la vie (alimentation, sommeil, éducation, rapport au temps…) et leur rapport au lointain, au futur. Le but global est de prendre très au sérieux les défis de l’anthropocène, et de tenter de les relever, mais sans tomber dans ces pièges devenus communs : passions tristes, restrictions punitives, nihilisme du « dernier homme » croyant aux catastrophes inéluctables..

Ce plaidoyer pour plus de vie, plus de puissance à construire sur terre, en désirant ardemment ce qui viendra après le temps des humains, ne manquera pas de susciter des discussions – chez les écologistes comme chez les lecteurs de Nietzsche. Voilà en tout cas une réflexion originale, utilement dérangeante, et pour le moins stimulante..

« Le Sens de la terre. Penser l’écologie avec Nietzsche », de Benoît Berthelier, Seuil, « L’ordre philosophique », 300 p., 24 €, numérique 17 €. Source : Chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit dans Le Monde des Livres.

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