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"L'homme est né libre..."
Cette phrase écrite il
y a plus de deux siècles est aujourd'hui encore objet de réflexion.
" ...Et il est partout dans les fers ", ajoutait J.-J. Rousseau.
En effet, l'homme a-t-il vraiment
brisé ses fers ? Est-il devenu l'homme libre souhaité par
les philosophes des Lumières du XVIIIe siècle
? Nous croyons que l'humanité a fait des progrès considérables
dans cette voie, mais que le véritable but est encore loin d'être
atteint.
Hors de toute idée préconçue, la vérité
est que je ne connais pas d'homme libre, volontaire et totalement libre.
De divers côtés on nous dit que les mots liberté,
égalité, fraternité sont périmés, qu'on
en a assez de les entendre. Mais qui nous a fait arriver à cette
triste conclusion ? Qui les a vidés de leur noble signification
? Qui leur a ôté leur éclat ? Tout simplement leur
manque d'application. Non seulement, ils n'ont pas été mis
en pratique, mais ils sont utilisés par tous les gouvernements
et tous les partis politiques indifféremment, d'une façon
abusive et malhonnête, tout en sachant que c'est mensonge et tromperie
pour les peuples.
Les hommes sont saturés de ces mots qui ne veulent rien dire, car
autour d'eux ils n'en perçoivent pas l'application. Seul celui
qui n'a pas conscience de ce qu'est la liberté peut croire qu'elle
existe, dans les pays démocratiques. Il y a des nuances, mais qu'est-ce
vraiment la démocratie ? Ailleurs, il s'agit toujours du malheur
de l'homme ! C'est J-J Rousseau qui nous donne une réponse encore
actuelle :
" Ce n'est pas à
des esclaves qu'il appartient de raisonner de liberté ".
Il est vrai que pour parler de liberté il faudrait avant tout la
connaître, en avoir conscience et la désirer par dessus tout.
Seulement en ayant conscience d'être esclaves nous pourrions arriver
à briser nos fers, car les hommes en général ne savent
ni se représenter la liberté ni la façon dont on
pourrait la vivre. Trop de siècles d'oppression, d'avilissement,
de dépendance morale, physigue, économique ont grevé
l'esprit et la conscience de l'homme et ont déterminé ce
que nous sommes aujourd'hui : des êtres domestiqués, asservis,
obéissants à des lois inhumaines et contre-nature, établies
pour maintenir l'exploitation de l'homme par l'homme. Celui qui traça
le premier des limites à un terrain et le proclama sa propriété
posa le premier jalon du mal dans le monde. Plusieurs penseurs sont d'accord
sur ce point, tels Rousseau, Proudhon, Kropotkin, Bakounine. II suffirait
pour s'en convaincre de se reporter à leurs œuvres.
"La propriété
c'est le vol," disait Proudhon.
Il est toutefois essentiel de rappeler que l'homme est passé de
la propriété privée, acquise par la force, à
la propriété de l'État, obtenue de la même
façon. Pour que le fruit de son pillage, de sa violence, de sa
cupidité soit assuré dans le temps et respecté par
les autres il l'a sanctionné par des lois de plus en plus affinées.
La loi, cet instrument terrible de malheur, les hommes la considèrent
comme la garantie de leurs droits. Suprême ironie, suprême
ruse des prédateurs de l'humanité : l'honnête homme
est amené à appliquer cette loi.
La Déclaration des Droits
de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 précise les droits
naturels fondamentaux :
Art. 1 "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux
en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées
que sur l'utilité commune."
Voilà assuré le premier pilier de la société
bourgeoise. On ne peut pas être libres et égaux et en même
temps admettre l'existence des classes sociales. Tous les êtres
humains naissent-ils libres et égaux en dignité et en droits
? Sont-ils tous doués de raison et de conscience ? Non, bien sûr
! Les inégalités existent à la naissance. On a donc
une hiérarchie sociale de type pyramidale.
Art. 2 - "Le but de toute association politique est la conservation
des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la
liberté, la propriété, la sûreté et
la résistance à l'oppression."
Il est certain qu'une telle déclaration
fut un progrès mais il est vrai aussi qu'elle ne fut pas une révolution.
L'erreur fondamentale est dans la contradiction qui existe entre la liberté
et la propriété, l'une étant l'ennemie de l'autre,
car c'est pour défendre la propriété qu'on étouffe
la liberté. Ce fut cependant un progrès car le droit à
la propriété, si elle est détenu par un seul homme,
le roi, fut élargi à beaucoup d'autres. Mais il existe une
multitude de possibilités de jouir de ce droit, favorable aux plus
riches. La résistance à l'oppression ne peut venir que du
peuple. En conséquence il ne pouvait s'agir d'une révolution.
Proudhon dit à ce sujet :
"Quand, à la suite d'observations, nos idées sur un
fait physique, intellectuel ou social. changent complètement j'appelle
ce mouvement de l'esprit révolution. Si dans nos idées il
y a seulement une extension ou une modification, il s'agit de progrès
... En 1789, il y a eu lutte et progrès, mais non révolution".
Art. 6 - "La loi est l'expression de la volonté générale,
tous les citoyens ont droit de concourir, personnellement ou par leurs
représentants, à sa formation; elle doit être la même
pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les
citoyens étant égaux à ses yeux sont égqlement
admissibles à toutes dignités, places et emplois publics
selon leur capacité et sans autres distinctions que celles de leurs
vertus et de leurs talents. "
Laissons Proudhon répondre encore à cet article :
"Le peuple, si longtemps victime de l'égoïsme monarchique,
a cru s'en libérer pour toujours en proclamant sa souveraineté.
Mais qu'est-ce que la monarchie ? la souveraineté d'un homme. Qu'est-ce
que la démocratie ? la souveraineté du peuple, ou pour mieux
dire de la majorité de la nation. Et nous avons aujourd'hui la
preuve que même avec la démocratie la plus parfaite, on peut
ne pas être libres... le peuple-roi ne peut pas exercer directement
la souveraineté; il est obligé de la déléguer
à des procureurs : c'est ce qu'on lui répète continuellement
pour le convaincre. Peu importe que ces représêntants soient
cinq, dix, cent, mille, mais que veut dire le nombre ? Il s'agit toujours
du gouvernement de l'homme, du royaume de la volonté et de l'arbitraire.
Je demande ce qu'a révolutionné la prétendue révolution."
Nous avons commenté brièvement trois articles de
la première Déclaration des Droits de l'Homme pour montrer
jusqu'à quel point elle est contestable. Il en est de même
pour tous les articles, car elle est la relève d'un pouvoir absolu
et le rétablissement du même pouvoir au profit d'une autre
classe qui jusque-là en était privée : la bourgeoisie.
Si cette déclaration fut saluée et célébrée
comme la plus grande victoire de l'humanité et à juste titre
pour l'époque, aujourd'hui il faut reconnaître que ces idéaux
sont limités et qu'ils ne peuvent plus nous satisfaire ne correspondant
même pas, dans leur articulation, aux trois piliers auxquels nous
aspirons toujours : liberté, égalité et fraternité.
Une Déclaration Universelle des Droits de l'Homme a été
écrite depuis, mais les élus n'en ont que faire. Les libertés
individuelles sont de plus en plus réduites, les inégalités
sont de plus en plus flagrantes et, en ce qui concerne la fraternité,
on n'en voit pas la couleur dans le nouvel ordre mondial ! Les guerres
n'ont pas cessé et la guerre économique fait rage. Les droits
humains ne sont plus défendus et le contrôle social par la
police et l'armée menace dangereusement les libertés individuelles.
Sans contrôle du pouvoir, sans contre-pouvoir et sans opposition
possible, la société civile meurt.
Nous contestons donc la validité intrinsèque de la Déclaration
des Droits de l'Homme et nous constatons amèrement que cet instrument
d'une justice si imparfaite n'a même pas reçu un commencement
d'application. Hélas ! Les hommes se contentent de légiférer
comme s'il était suffisant de promulguer une loi pour la voir appliquer.
En plus, non contents (les hommes) d'avoir érigé des monuments
nationaux (les États) sur ce socle des droits de l'homme, ils ont
voulu en bâtir un gigantesque en commun : les Nations unies. Là,
la farce prend des proportions grandioses à tous les niveaux. But
suprême de l'organisation : la paix dans le monde. La paix oui.
mais où est-elle ? La paix oui, mais sans le pouvoir de la défendre.
A ce point les partisans des organisations en général vont
nous dire : les Nations Unies ne peuvent pas imposer leurs lois aux États,
chaque Etat étant souverain. A quoi bon alors signer un record
? Où est-elle cette union ? Qu'ils ne nous parlent pas de l'utopie
libertaire, parIons plutôt alors de l'utopie coûteuse des
Nations Unies, gardienne des droits de l'homme mais incapable de maintenir
la paix et la justice !
Quelle est donc la conclusion ? Il n'y en a qu'une et une seule
: éliminer les Etats car, comme disait Bakounine : "Tout État,
même s'il parait bon, est mauvais car il impose ses lois".
Nous laissons la définition d'État aux juristes, ou aux
politiciens. ou aux philosophes. A notre avis, une seule chose est importante
: que l'État, tel que nous le connaissons jusqu'à présent,
coercitif, oppresseur, rouleau compresseur de l'individu, est à
rejeter. Dans notre esprit, il n'y a pas de bonnes et de mauvaises dictatures.
Toute dictature est partout la même, la souffrance et le génocide
sont tout asssi cruels.
Nous savons que le chemin
pour arriver à se débarrasser d'un tel État est long
à parcourir, car il faut passer par l'esprit et la volonté
de l'homme. Si l'humanité doit poursuivre ce chemin d'amélioration
individuelle qui conduira à la naissance d'un homme nouveau, ne
serait-ce pas là le surhomme annoncé
par Nietzsche ? La seule voie possible pour renouveler la société,
pour opérer la véritable révolution. Cette tâche
exige des efforts constants et courageux. Essayons "d'écraser
l'Infâme" partout où il se trouve, en nous-mêmes
et chez les autres.
«L'Etat, c'est le plus froid des monstres froids.»
(Ainsi Parlait Zarathoustra, c'est-à-dire F. Nietzsche)
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