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Temps nouveaux (prologue)
«Voici quelques cent
ans, la façon dont Nietzsche interrogeait le proche ou lointain
avenir qui est maintenant devenu notre actualité quotidienne
qu'il prévoyait convulsive, et jusqu'à caricaturer sa
pensée nous-mêmes, nous essayerons de comprendre en quel
sens l'interrogation de Nietzsche décrit ce que nous vivons maintenant.
Nous ne pouvons oublier deux points essentiels jusqu'alors écartés
ou voilés, sinon passés sous silence, dans l'étude
de sa pensée. Le premier est que cette pensée, à
mesure qu'elle se développe, abandonne la sphère proprement
spéculative pour adopter sinon simuler les préliminaires
d'un complot. Il y a un complot nietzschéen qui n'est pas celui
d'une classe mais d'un individu isolé (tel Sade) avec les moyens
de cette classe, non seulement contre sa propre classe, mais aussi contre
les formes existantes de l'espèce humaine tout entière.»
(Pierre Klossowski)
Qu'enseigne-t-il aux hommes
? - qu'ils doivent changer de mentalité, s'élever, évoluer
!
« L'homme est quelque chose qui doit être surmonté.
Qu'avez-vous fait pour le surmonter ? »
La
suite du texte montre que c'est une évolution de la mentalité
qui fait le surhomme, débarrassé du joug de l'Eglise, et
des idéaux malsains du christianisme. Le "surhomme",
c'est celui qui est au-dessus des hommes et qui les domine par son mérite
et son indépendance d'esprit, il s'impose par sa volonté,
son courage. Car les hommes ne savent que singer et suivre leurs maitres
à penser, en l'occurrence Jésus ou St Paul et ses successeurs,
les théologiens.
« À partir de Constantin
le Grand, une dictature spirituelle s'établit progressivement. Il n'y
eut jamais révolution si funeste que celle de l'empereur Théodose...
Le christianisme vainqueur voulut, crut tuer l'ennemi. Il rasa l'École
par la proscription de la logique et par l'extermination des philosophes,
qui furent massacrés sous Valens... Les Bibliothèques de l'Antiquité furent
incendiées. Un vide énorme s'était fait dans le monde. Qui le remplissait
? Les chrétiens le disent: le Démon, partout. »(...) « L'avènement
du christianisme fut salué comme la fin de la culture. »
(Jules Michelet, La Sorcière, un livre rare sur notre passé
moyen-âgeux).
L'espoir du « siècle
des lumières », le mondialisme en germe des cosmopolites
de Fénelon à Montesquieu, le désir de société
idyllique d'un Rousseau, le combat pour la tolérance d'un Voltaire,
l'indépendance américaine et la révolution française
aux grands idéaux de liberté, d'égalité, de
fraternité, et de justice, la déclaration des droits de
l'homme, tout présageait, à n'en pas douter, l'aube de temps
nouveaux. Ne serait-ce qu'en France, le besoin d'émancipation du
peuple, la prise de conscience en sa propre force, ont été
des leviers puissants. Car 1789 a été suivi de 1830, 1848
et 1871. A chaque date, une nouvelle lueur d'espoir. Les philosophes des
Lumières remettaient en cause les dogmes chrétiens : le Dictionnaire
philosophique de Voltaire, en particulier. Voltaire et la révolution
française ont sapé la base de l'église institutionnelle.
Le peuple rejetait, à juste titre, ce carcan d'institutions dépassées.
Sa soif de liberté le porta à renverser les idoles. Les
nobles idéaux des philosophes des lumières ne suffisaient
plus, le peuple en désirait l'application.
C'est Napoléon-Bonaparte qui
réintroduisit l'enseignement de la philosophie au lycée, qui favorisa
les sciences et faillit mettre un terme à l'Église de Rome. C'est
lui qui appliqua la Révolution voulue par les Lumières. Les uvres
de Stendhal en témoignent. L'athéisme se répand au
XIXe siècle après l'œuvre du Marquis de
Sade. Les offensives de la science (les philologues allemands, Ernest
Renan) entamment sérieusement le crédit que l'Eglise accorde
aux évangiles. Le zodiaque
de Denderah, rapporté d'Egypte et étudié par
Champolion, a fait chanceler les allégations de l'Eglise sur l'histoire
de l'humanité selon la Bible. Charles Darwin a publié en
1859 De l'origine des espèces, et en 1871
De la descendance de l'homme, texte à l'orientation beaucoup
plus théologique qui remettait en question les récits bibliques
de la Création. Dans le sillage de Darwin, survint l'âge
d'or de l'agnosticisme anglais, illustré par Thomas Huxley et Herbert
Spencer. Des philosophes influents et largement lus, Kant, Schopenhauer,
et surtout Nietzsche, sont les héritiers des philosophes des Lumières,
mais Nietzsche va plus loin, il est plus proche des anarchistes
et des libertaires. On comprend mieux Nietzsche en rapport avec tout ce
passé historique, et, pour nous, les énigmes de son Zarathoustra
deviennent transparentes.
Nietzsche est né au cœur
du XIXe siècle, en 1844,
coïncidence ?
Depuis deux siècles,
le progrès est prodigieux. Voilà les Temps Nouveaux,
la lumière brille enfin, il faut être aveugle pour ne pas voir cela !
Pour le clergé, il faudrait toujours rester enfant, obéissant,
soumis, et garder son goût du merveilleux, son cœur tendre, son
esprit confiant, malléable, sans jamais douter de ce qui est écrit dans
le grand Livre. Si « être adulte, c'est être responsable.
» (Saint Exupéry), cela suppose aussi être soi-même, savoir penser
par soi-même. « Agir en homme de pensée et penser en homme
d'action. » (H. Bergson). Justement, nous voilà devant
de nouveaux défits surhumains...
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