Sommaire
Victor Hugo

Coïncidence de date ?

L'activisme de toutes les religions au XIXe siècle a quelque chose d'intrigant. Les missionnaires chrétiens partis avec les aventuriers à la conquête de terres lointaines avaient répandu la «Bonne Nouvelle» aux quatres coins du monde. Les temps étaient accomplis. Des fièvres de fin du monde et l'attente du millenium dominent ce siècle. Le monde est en état de gestation. Chateaubriand semble entrevoir dans ses derniers écrits la venue d'un christianisme renouvelé.
En 1848, l'auteur du "Génie du Christianisme" meurt, laissant la place à l'imprécateur de génie du christianisme : Friedrich Nietzsche.
L'étude de cet étonnant XIXe siècle prouverait qu'un événement important s'est produit. Lequel pourrait être l'apparition d'un nouvel éducateur universel : Nietzsche. "Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombes" (1). Or 1844, c'est aussi l'année de naissance d'Anatole France, un excellent auteur qui avait aussi l'esprit critique.

Les hommes étaient alors dans l'expectative, le grand poète Lamartine l'exprimait dans ses vers musicaux :

« Réveille-nous, Grand Dieu ! Parle et change le monde ;
Fait entendre au néant ta parole féconde
Il est temps! Lève-toi ! Sors de ce long repos ;
Tire un autre univers de cet autre chaos...
Change l'ordre des cieux qui ne nous parle plus
Lance un nouveau soleil à nos yeux éperdus. »

Alfred de Musset dans ses Poésies Nouvelles, pressentant qu'il faudrait une voix plus qu'humaine, demande :

« Où est donc le Sauveur pour entr'ouvrir nos tombes ?
Où donc le vieux saint Paul haranguant les Romains,
Suspendant tout un peuple à ses haillons divins ?
Où donc le cénacle ? Où donc les catacombes ?
Avec qui marche donc l'auréole de feu ?
Sur quels pieds tombez-vous, parfums de Madeleine ?
Où donc vibre dans l'air une voix plus qu'humaine ?
Qui de nous, qui de nous va devenir un Dieu ? »

Dans ses Contemplations, Victor Hugo a chanté, lui aussi, la mélodie du printemps spirituel que les hommes de cette époque attendaient si ardemment :

« Ecoutez. Je suis Jean. J'ai vu des choses sombres...
J'ai vu le ciel, l'éther, le chaos et l'espace. Vivants !
Puisque j'en viens, je sais ce qui s'y passe ;
Je vous affirme à tous, écoutez bien ma voix,
J'affirme même à ceux qui vivent dans les bois,
Que le Seigneur, le Dieu des esprits des prophètes,
Voit ce que vous pensez et sait ce que vous faites...
Voyant vos passions, vos fureurs, vos amours,
J'ai dit à Dieu : Seigneur, jugez où nous en sommes.
Considérez la terre et regardez les hommes.
Ils brisent tous les nreuds qui devaient les unir.
Et Dieu m'a répondu: certes, JE VAIS VENIR. »

La suppression de la misère et de la guerre, l'apaisement des conflits entre les classes et les peuples, Victor Hugo partageait ces idéaux avec d'autres écrivains, d'autres penseurs et hommes politiques de son temps (2). Le nouvel empereur des Français, Napoléon III, les avait même inscrits au début à son programme politique ! On sait que Victor Hugo, en désaccord avec Napoléon III, s'exila à Guernesey et que là-bas, sur son roc, il médita longuement sur la libération de l'humanité. Il considérait le XIXe siècle comme « l'aube des grands idéaux », le siècle qui devait réaliser les prémices du bonheur de l'humanité. En 1842, il annonce déjà « qu'un jour, le globe entier sera civilisé et qu'alors sera accompli le magnifique rêve de l'intelligence : avoir pour patrie le monde et pour nation l'humanité ». Il voyait non seulement venir le temps où tomberaient les frontières entre les peuples, mais aussi les murs entre les classes.
Les grands poètes n'étaient pas seuls à sentir l'étrange réveil. Le philosophe Joseph de Maistre, l'un des penseurs les plus profonds de ce temps, dans Les soirées de Saint-Pétersbourg, disait : « Il faut nous tenir prêts pour un événement immense, le christianisme sera rajeuni d'une manière extraordinaire; il ne s'agit pas d'une modernisation de l'église, mais d'une forme nouvelle de la religion éternelle qui sera au christianisme actuel ce que celui-ci est au judaïsme. »
En 1805, le professeur d'université Delormel voit dans son ouvrage La grande période ou le retour de l'âge d'or une religion universelle régner sur terre. L'écrivain Huysmans, en 1891, écrit dans Là-bas que « les temps attendus sont proches. En voici les preuves bien manifestes. »

Aux U.S.A., c'est le fameux William Miller qui commença dès 1831 à faire des conférences sur le retour du Christ et qui avança la date fatidique de 1844. Il déclarait qu'il ne pouvait s'en empêcher, qu'une voix intérieure le pressait «de prévenir le monde». Or, Nietzsche nait justement cette année-là !
Des hommes vêtus de blanc escaladaient les montagnes du nouveau continent pour attendre dignement cet événement. A la fin de l'année, rien ne s'étant produit, le Seigneur de Gloire n'étant apparu sur aucun nuage, les fidèles de Miller, déçus, formèrent la secte des Adventistes ("ceux qui attendent"). Russell en conclut que Miller s'était trompé et fonda celle des Témoins de Jéhovah, qui fournit régulièrement de nouvelles dates du futur avènement, au fur et à mesure des bévues, sans crainte du ridicule.
La secte des Mormons et leur "Eglise des Saints des derniers jours" est née vers 1820 à la suite d'une révélation du jeune Joseph Smith, leur fondateur, qui mouru en 1844 : Le retour du Christ et l'Apocalypse des derniers jours !

Il est étonnant de trouver tant de références à la venue d'un messie (3) dans un siècle où commençait à grandir l'athéisme.
Le retour du Christ, la fin du monde et l'établissement d'un millénaire de justice et de paix ont toujours été étroitement liés. L'attente du Grand Jugement, la venue du Rédempteur qui permettrait d'établir un monde meilleur ne troublaient pas seulement l'Europe et l'Amérique, mais tourmentaient aussi le Moyen-Orient. L'approche du « Grand Evénement » retentissait surtout en Terre sainte parmi les juifs, les chrétiens et les musulmans. Chacun de ces courants religieux, suivant leurs anciennes traditions, souvent à l'aide de l'astrologie et des sciences occultes, y ajoutant leurs superstitions et inventant des récits fantastiques, croyaient fermement à l'imminence de l'avènement du Messie et d'un âge nouveau.
"En Amérique, en Europe et en Asie, le clair message de la fin du temps prophétique en 1844, a été proclamé avec force par plusieurs voix". (Our Day in the Light of Prophecy, W. A. Spicer, éd. 1925, p- 241). C'est en 1844 que fut fondée en Iran la Foi Universelle Bahaï, à la suite d'une révélation adressée à celui qui se dit le dernier prophète, Baha 'Allah (1817-1892). Avènement annoncé par le Bab, lequel fut éxécuté à 31 ans parce que la révolution babie dérangeait les autorités en Iran (1844 est l'année de Ghars que citait l'érudit arabe Muhiyi'd-Din'lbn al-Arabi comme «fin du monde»).
En même temps, de nombreuses guerres dans toutes les parties du monde emplissaient les livres d'histoire. «Guerres et bruits de guerres», disait Jésus, en ces temps qui «verront le Fils de l'Homme revenir». Vers la fin du XIXe siècle, la conviction devint très forte parmi les amérindiens que le Messie était déjà apparu (Le général Miles, de l'armée des Etat-Unis, le rapporte dans un journal du Minnesota après un circuit de l'Ouest).
En Inde, « la croyance en la proche venue d'un grand Enseignant universel est un fait de simple savoir, du moins parmi les gens éduqués », écrit G. S. Arundale, commissaire à l'éducation de l'Etat d'Indore. En 1846, en Kabylie, Bou Maza, un Marocain, prétendait être le messie musulman, le Madhi. Plus tard, au Soudan, les Anglais durent déployer toutes leurs forces pour réprimer la révolte d'un autre madhi. Depuis, les madhis sont légion. En 1843, Hung Hsiu Ch'üau en Chine se disait être le messie voulant établir un nouveau christianisme; ce qu'on appela la révolte des Taï-ping. Mot qui veut dire "La Grande Paix". Que se passe-t-il en 1844 ?

Suite

Notes

note(1) La citation correcte de Nietzsche est :

« Ce sont les paroles les moins tapageuses qui apportent la tempête, et les pensées qui mènent le monde viennent sur des pattes de colombe » (Ainsi parlait Zarathoustra).

note(2) Le chanoine Chabauty, "le philosophe inconnu" Louis-Claude de Saint-Martin, le Lyonnais Ballanche, l'ex-bénédictin Dom Perrety, l'écrivain Muralt, ...etc.

note(3) Dumas Fils, par exemple, aux idées plus que révolutionnaires pour l'époque, dont l'intérêt des causes plaidées n'a désormais plus besoin d'avocat : droits de la femme et de l'enfant, problèmes sociaux, divorce...

  IDDN Certificat