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Voltaire
Voltaire

« La foi consiste à croire les choses parce qu'elles sont impossibles.» (Nietzsche)

« Qu'est-ce que la foi ? Est-ce de croire ce qui paraît évident ? Non. il m'est évident qu'il y a un Être nécessaire, éternel, suprême, intelligent; ce n'est pas là de la foi, c'est de la raison. Je n'ai aucun mérite à penser que cet Être éternel, infini, que je connais comme la vertu, la bonté même, veut que je sois bon et vertueux. La foi consiste à croire, non ce qui semble vrai, mais ce qui semble faux à notre entendement. Les Asiatiques ne peuvent croire que par la foi le voyage de Mahomet dans les sept planètes, les incarnations du dieu Fo, de Vishnou, de Xaca, de Brahma, etc., etc. Ils soumettent leur entendement, ils tremblent d'examiner, ils ne veulent être ni empalés, ni brûlés ; alors ils disent: «Je crois.» (note)

Nous sommes bien sûrs que Voltaire fait ici allusion à la foi catholique. Même s'il assure qu'il ne parle que de la foi mensongère des autres nations du monde, de cette foi qui n'est pas la vraie foi, il est obligé de surveiller ses paroles.

« Il y a la foi pour les choses étonnantes, et la foi pour les choses contradictoires et impossibles, ajoute-t-il. La suite peut être paraphrasée : Par l'opération du Saint Esprit, Dieu s'est incarné en Jésus-Christ, son fils unique et premier-né de la vierge Marie ; par parthénogenèse ? cela est fort étonnant, mais enfin cela n'est pas physiquement impossible ; pourtant, si Dieu est esprit, on peut douter de cela. Il faut l'avoir accepté dans son esprit ou se sentir inspiré pour une mission hors du commun pour annoncer de telles choses.
« Mais ce que Dieu exige de lui, un innocent, qu'il soit sacrifié sur la croix, comme un larron parmi les larrons pour laver les péchés des coupables, c'est une chose incroyable, autant que un et un font trois, ou que le corps de ce christ puisse être dans le pain de la messe, que le vin puisse être transformé en son sang, immorale pour un homme; alors, si le chrétien dit qu'il a la foi, il a menti; et s'il jure qu'il croit, il fait un parjure. Pour faire croire aux miracles il faut ajouter des dogmes, ce sont de ces mystères qu'on croit par la foi; et la foi consiste à croire ce que la raison ne croit pas, ce qui est encore un autre miracle.»

« Un jour le prince Pic de La Mirandole rencontra le pape Alexandre VI chez la courtisane Émilia, pendant que Lucrèce, fille du saint père, était en couches, et qu'on ne savait pas dans Rome si l'enfant était du pape, ou de son fils le duc de Valentinois, ou du mari de Lucrèce, Alphonse d'Aragon, qui passait pour impuissant. La conversation fut d'abord fort enjouée. Le cardinal Bembo en rapporte une partie.

« Petit Pic, dit le pape, qui crois-tu être le père de mon petit-fils ?
- Je crois que c'est votre gendre, répondit Pic.
- Eh! comment peux-tu croire cette sottise ?
- Je la crois par la foi.
- Mais ne sais-tu pas bien qu'un impuissant ne fait pas d'enfants ?
- La foi consiste repartit Pic, à croire les choses parce qu'elles sont impossibles ; et de plus, l'honneur de votre maison exige que le fils de Lucrèce ne passe point pour être le fruit d'un inceste. Vous me faites croire des mystères chrétiens plus incompréhensibles. Ne faut-il pas que je sois convaincu qu'un serpent a parlé, que depuis ce temps tous les hommes furent damnés, que le Christ naquit d'une vierge et que les murs de Jéricho tombèrent au son des trompettes? »

Christ Pantocrator Pic enfila tout de suite un kyrielle de toutes les choses admirables qu'il croyait, Alexandre tomba sur son sofa à force de rire. « Je crois tout cela comme vous, disait-il, car je sens bien que je ne peux être sauvé que par la foi, et que je ne le serai point par mes œuvres.
- Ah! saint père, dit Pic, vous n'avez besoin ni d'œuvres ni de foi; cela est bon pour de pauvres profanes comme nous, mais vous qui êtes vice-Dieu, vous pouvez croire et faire tout ce qui vous plaira. Vous avez les clefs du ciel; et, sans doute, saint Pierre ne vous fermera pas la porte au nez. Mais, pour moi, je vous avoue que j'aurais besoin d'une puissante protection, si, n'étant qu'un pauvre prince, j'avais couché avec ma fille, et si je m'étais servi du stylet et de la cantarella aussi souvent que Votre Sainteté. » Alexandre VI entendait la raillerie.
« Parlons sérieusement, dit-il au prince de La Mirandole. Dites-moi quel mérite on peut avoir à dire à Dieu qu'on est persuadé de choses dont en effet on ne peut être persuadé ? Quel plaisir cela peut-il faire à Dieu ? Entre nous, dire qu'on croit ce qu'il est impossible de croire, c'est mentir. »
Pic de La Mirandole fit un grand signe de croix.
« Eh ! Dieu paternel, s'écria-t-il, que Votre Sainteté me pardonne, vous n'êtes pas chrétien.
- Non, sur ma foi, dit le pape.
- Je m'en doutais », dit Pic de La Mirandole. »

(Extrait du Dictionnaire philosophique de Voltaire, rubrique « Foi »)

Voltaire connut aussi le succès avec sa première tragédie où il y a ce fameux distique :

"Nos prêtres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense
Notre crédulité fait toute leur science." (Œdipe IV, 1)

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[note] Extrait du Dictionnaire philosophique de Voltaire, rubrique « Foi ». Voltaire a pris ce nom parce que son père disait de lui qu'il était volontaire en prononçant "vol'taire". Cet homme volontaire et indépendant est le seul philosophe auquel Nietzsche a dédié un de ses livres : Humain, trop humain.

 
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