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Qu'est-ce qu'un mythe ?
Le terme "mythe" ne
désigne pas n'importe quel récit fabuleux, mais un récit tenu pour vrai,
dans un système de croyances déterminées, en apparence opposé au discours
rationnel. On assimile volontiers ces récits à des fables
inventées par des esprits plein d'imagination. B. De Bouvier de
Fontenelle a bien analysé ce fait dans son traité : De
l'origine des fables.
Le mythe apparaît comme l'expression d'une pensée symbolique, en relation
avec la totalité du psychisme humain, l'histoire, et les préoccupations
communes des hommes: "tout l'humain est engagé dans le mythe" (G. Bachelard).
La question du mythe constitue l'un des problèmes les plus complexes de
l'anthropologie, en raison de ce "chaos théorique". Cl. Lévi-Strauss qui
persiste ici : "Pour comprendre ce qu'est un mythe, n'avons-nous donc
le choix qu'entre la platitude et le sophisme ? Certains prétendent que
chaque société exprime, dans ses mythes, des sentiments fondamentaux tels
que l'amour, la haine ou la vengeance, qui sont communs à l'humanité tout
entière. Pour d'autres, les mythes constituent des tentatives d'explication
de phénomènes difficilement compréhensibles, astronomiques, météorologiques,
etc. Quelle que soit la situation réelle, une dialectique qui gagne à
tous coups trouvera le moyen d'atteindre à la signification." (Cl. Lévi-Strauss,
Anthropologie structurale, Plon, p.228)
"Le mythe est essentiellement un récit que les usagers sentent dans un
rapport régulier avec un rite positif ou négatif de la vie." (G. Dumézil).
Quelques exemples de
mythes:
- le mythe d'dipe, dont Claude Lévi-Strauss lui-même donne une remarquable
analyse.
- le mythe de Pandore : La première femme créé par
Héphaïstos, Pandora, était pourvue de tous les dons,
elle fut envoyée aux humains munie d'un grand vase contenant tous
les bienfaits et tous les fléaux leur étant destinés,
si bien que les humains se lamentaient, et aussi d'une boite fermée.
Quand les fléaux se répandirent sur Terre, ils voulurent
ouvrir la boite et trouvèrent au fond de la boite à Pandore
un piètre bienfait : l'espérance... (la religion est a aussi
la boite de Pandore)
- un mythe amérindien: l'origine des femmes :
"Les hommes vivaient sans femmes. / Un jour, on leur vola de la nourriture.
/ Les hommes chargèrent un oiseau de surveiller leurs provisions. / L'oiseau
vit des femmes qui descendaient du ciel le long d'une corde. De son bec,
il coupa la corde. Les femmes, ne pouvant remonter, restèrent avec les
hommes." (ibid.)
- un mythe actuel : le mythe du progrès... ou encore celui des soucoupes
volantes (sujet traité par Jung dans Un Mythe Moderne).
1. Les constantes
de la pensée mythique :
- les mythes entretiennent les uns avec les autres, à l'intérieur d'une
même culture, ou d'une culture à une autre, des relations complexes (correspondances,
filiations, parallélismes, convergences, etc.); ils se ressemblent et
paraissent s'appeler et se répondre les uns aux autres, mais correspondent
à des conditions d'élaboration très variables (sans quoi, comment comprendre
la variété des différentes versions d'un même mythe ?): équilibre ici
trouvé entre l'identité propre à la nature humaine et sa diversité.
- ils révèlent des préoccupations communes: recherche du sens de l'existence,
souci d'expliquer la création du monde (cosmogonies), les origines de
la vie ou de l'humanité, désirs d'amour, de gloire, de puissance, de protection,
angoisses des hommes devant une nature hostile, la maladie, la souffrance,
la mort et un au-delà de la mort, la fuite hors du monde ou du temps,
la communion avec le divin, etc.
- ils manifestent l'attrait des hommes pour le surnaturel, le merveilleux,
en relation avec des questions d'ordre technique ou socio-politique; ils
charment, séduisent, font plaisir à ceux qui l'entendent.
- constitués par projection des contraintes économiques, des structures
politiques, des règles de la parenté, des usages sociaux, etc., ils ont
une finalité: justification et codification des institutions politiques
ou religieuses, des rites, des tabous, des interdits moraux ou sociaux;
constitution d'une mémoire collective des généalogies et des événements
marquants, etc.
- ils connaissent une évolution de leur contenu symbolique.
2. L'interprétation
du mythe
Différentes perspectives peuvent être retenues:
- la tradition philosophique faisait du mythe une fable discursive véhiculant
une signification obscure que la réflexion serait impuissante à produire
(cf. Platon, chez qui le mythe supplée à la dialectique défaillante, comme
intermédiaire entre les paroles profane et sacrée)
- on peut y voir l'expression d'une "pensée sauvage", une affabulation
naïve, fondée sur une forme de pensée allégorique (laquelle se distingue
de la pensée symbolique par l'absence de toute signification à valeur
psychologique - P. Diel), ou simplement confuse et embryonnaire.
- on peut y voir l'expression d'une pensée "à l'état sauvage", prélogique
ou "autrement logique", rationnelle, abstraite et fondée sur l'intuition,
l'analogie, et s'exprimant par le symbole. Dans les deux cas, on ne saurait
pour autant considérer le mythe comme le signe d'une prétendue insuffisance
intellectuelle des "primitifs" (cf. à l'opposé l'efficacité technique
dans l'adaptation au milieu)
- les fonctionnalistes font du mythe l'élément d'un ensemble global et
cohérent, défini par les préoccupations matérielles, mettant en rapport
l'homme et la nature, ou doublant l'organisation sociale qu'il soutient.
- les structuralistes (C. Lévi-Strauss) considèrent que les mythes sont
déterminés les uns par les autres et trouvent en eux-mêmes leur vérité,
bien davantage que par leur contexte; l'interprétation du mythe suppose
alors une "mytho-logique" (ex.: division en mythèmes = unités constitutives
du mythe, éléments mythiques).
Les postulats sur lesquels Cl. Lévi-Strauss (op. cit., p.232) fonde l'analyse
structurale des mythes sont les suivants:
1) "si les mythes ont un sens, celui-ci ne peut tenir aux éléments qui
entrent dans leur composition, mais à la manière dont ces éléments se
trouvent combinés;
2) le mythe relève de l'ordre du langage, il en fait partie intégrante;
néanmoins, le langage, tel qu'il est utilisé dans le mythe, manifeste
des propriétés spécifiques;
3) ces propriétés ne peuvent être cherchées qu'au-dessus du niveau habituel
de l'expression linguistique; autrement dit, elles sont de nature plus
complexe que celles qu'on rencontre dans une expression linguistique de
type quelconque."
- l'interprétation psychologique met l'accent sur le postulat de symbolisation
mythique = calcul psychologique, exprimé sous une forme imagée, compromis
effectué entre les désirs d'une part, les complexes et les sentiments
d'angoisse et de culpabilité des individus d'autre part.
3. Conclusions possibles
- le mythe apparaît comme un récit signifiant autre chose que lui-même.
- il concerne tous les aspects de l'existence et de la pensée humaines,
avec lesquels il peut être mis en rapport; on pourra alors l'envisager
sous l'aspect d'un conditionnement de la pensée (par sa fonction religieuse),
ou d'une aide à la vie.
- toute pensée, toute culture, toute époque, a ses mythes; le mythe exprimerait
plus fondamentalement un besoin de sacralisation de l'Autre, qui ne serait
pas propre aux sociétés traditionnelles.
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