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Nietzsche et le travail
TRAVAIL ET ENNUI (Le Gai Savoir, § 42 )
« Se trouver un travail
pour avoir un salaire : - voilà ce qui rend aujourd'hui presque tous
les hommes égaux dans les pays civilisés ; pour eux tous le travail
est un moyen et non la fin ; c'est pourquoi ils mettent peu de finesse
au choix du travail, pourvu qu'il procure un gain abondant.
Or, il y a des hommes rares qui préfèrent périr plutôt que de travailler
sans plaisir : ils sont délicats et difficiles à satisfaire, ils ne
se contentent pas d'un gros gain lorsque le travail n'est pas lui-même
le gain de tous les gains. De cette espèce d'hommes rares font partie
les artistes et les contemplatifs, mais aussi ces oisifs qui passent
leur vie à la chasse ou bien aux intrigues d'amour et aux aventures.
Tous cherchent le travail et la peine lorsqu'ils sont mêlés de plaisir,
et le travail le plus difficile et le plus dur, s'il le faut. Sinon,
ils sont décidés à paresser, quand bien même cette paresse signifierait
misère, déshonneur, péril pour la santé et pour la vie. Ils ne craignent
pas tant l'ennui que le travail sans plaisir : il leur faut même beaucoup
d'ennui pour que leur travail réussisse. Pour le penseur et pour l'esprit
inventif, l'ennui est ce “calme plat” de l'âme qui précède
la course heureuse et les vents joyeux ; il leur faut le supporter,
en attendre les effets à part eux : - voilà précisément ce que
les natures inférieures n'arrivent absolument pas à obtenir d'elles-mêmes
! Chasser l'ennui à tout prix est aussi vulgaire que travailler sans
plaisir... »
Herbert Marcuse disait en gros
: 
La société de consommation qui
impose un travail contraignant nous laissant peu de temps libre détourne
l'individu des plaisirs authentiques. La libido
fait les frais de restrictions. Le désir est refoulé, ou transféré aux
objets de substitution ; par la publicité, elle crée des besoins mais
elle n'offre que des gadgets et montre de jolies femmes à voir mais pas
à toucher; elle nous propose toutes sortes de divertissements audiovisuels.
De plus en plus, la technicité écrase les apparences démocratiques par
le biais de la manipulation des consciences. Les manipulateurs usent de
la technicité comme, par exemple, l'abus des sondages d'opinion, l'affichage
des cours de la Bourse, l'invention des "nouvelles technologies" et la
démocratie est plus apparente que réelle. On fait tout pour nous empêcher
la prise de conscience, la révolte et le changement. Il n'est pas permis
de penser, d'avoir quelque volonté propre. Maintenant les
apologistes du travail vous maltraitent :
«Ta gueule, vote et bosse
!»
Vous n'avez plus le temps de
vous réunir, de festoyer, de discuter. Les rencontres sentimentales ou
les contacts rapprochés se font rares. Les années passent sans pouvoir
vraiment jouir de la vie. C'est profondément frustrant. Or un individu
frustré est un être incomplet, malade, car insatisfait. Combien sommes-nous
de mécontents, au visage livide, renfrogné... ou simplement de désabusés,
de désenchantés de la vie ? Que faire ?
En 1968, on répondait : - le
pouvoir est à l'imagination !
C'est Einstein qui disait : «
L'imagination est plus importante que la connaissance. »
Voilà ce qu'écrivait Michel
Bakounine :
« Écrasé par son travail quotidien, privé
de loisir intellectuel, de lecture, enfin de presque tous les moyens
et d'une bonne partie des stimulants qui développent la réflexion
dans les hommes, le peuple accepte le plus souvent sans critique et
en bloc les traditions qui, l'enveloppant dès le plus jeune âge
dans toutes les circonstances de sa vie, et artificiellement entretenues
en son sein par une foule d'empoisonneurs officiels de toute espèce,
prêtres et laïques, se transforment chez lui en une sorte
d'habitude mentale et morale, trop souvent plus puissante même
que son bon sens naturel. Il est une autre raison qui explique et qui
légitime en quelque sorte les croyances absurdes du peuple. Cette
raison, c'est la situation misérable à laquelle il se
trouve fatalement condamné par l'organisation économique
de la société, dans les pays les plus civilisés
de l'Europe. »
Lourdement imposé, taxé, retranché seul devant
sa télévision, l'individu ne voit même pas à
quel point il est mal informé, de plus en plus manipulé,
maltraité. Misérable, il ne peut même plus se révolter,
car la police est bien mieux armée...
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