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Dé-mythologisation
A. Malet résume
ici la foi « démythologisée » du théologien
Bultmann. Pour ce dernier, la science détruit lancienne conception
«mythologique» du monde (croyance au surnaturel, en de prétendus
miracles, etc.). Mais la science nest, elle-même, quune
représentation objective du monde. La foi
se situe, de toute façon, sur un autre plan. « Pour voir
Dieu, dit Malet, il faut que lhomme meure à tout signe objectif
de Dieu dans le monde dont laction divine ne modifie en rien lapparence.»
De même que le croyant espère être sauvé et
« justifié » malgré la conscience de ses fautes,
de même « Dieu est au-delà des étoiles, cest-à-dire
au-delà des signes prétendument visibles de sa présence,
et cest contre toutes les étoiles quon croit en lui
».
« Si la démythologisation
est dabord exigée par le conflit entre limage mythologique
du monde qui est celle de la Bible et limage du monde formée
par la pensée scientifique, il apparaît cependant aussitôt
que la démythologisation est une exigence de la foi elle-même.
En effet, celle-ci exige dêtre libérée de la
liaison à toute image du monde projetée par la pensée
objectivante, quil sagisse de la pensée du mythe ou
de la pensée de la science. »Ce conflit montre que la foi
na pas trouvé la forme dexpression qui lui est appropriée,
quelle na pas pris conscience de son caractère spécifiquement
inconstatable, quelle na pas clairement vu lidentité
de son motif et de son objet, quelle na pas nettement saisi
la transcendance et le caractère caché de laction
divine et quen méconnaissant son spécifique «
Dennoch » (son « pourtant »), elle objective Dieu et
laction de Dieu dans la sphère du mondain. Quand la critique
sélève, à partir de limage moderne du
monde, contre limage mythologique du monde (qui est celle) de la
Bible et de la prédication ecclésiastique traditionnelle,
elle rend à la foi le grand service de la rappeler à une
réflexion radicale sur son essence véritable. »
C’est précisément
à cet appel que veut répondre la démythologisation.
« Linvisibilité de Dieu exclut tout mythe qui voudrait
rendre visibles Dieu et son action; mais elle exclut également,
en tant quelle est linvisibilité de Dieu, toute conception
de linvisibilité et du mystère qui est pensée
dans la Begrifflichkeit de la pensée objectivante ». Dieu
se dérobe au regard objectivant; il peut seulement être cru
contre lapparence, tout comme la justification du pécheur
peut seulement être crue contre la conscience qui laccuse.
« Et, de fait, la démythologisation radicale est le parallèle
de la doctrine paulinienne-luthérienne de la justification sans
les uvres de la Loi et seulement par la Foi.
Ou plutôt: elle en est laccomplissement conséquent
dans le domaine de la connaissance. Comme la doctrine de la justification,
elle détruit toute fausse sécurité et toute fausse
exigence de sécurité de la part de lhomme, quil
sagisse de la sécurité fondée sur ses bonnes
actions ou sur sa connaissance objective. Lhomme qui veut croire
en Dieu comme en son Dieu doit savoir quil na rien en main
à partir de quoi il pourrait croire, quil est pour ainsi
dire en lair et quil ne peut exiger aucune légitimation
de la vérité de la Parole qui linterpelle. En effet,
le motif et lobjet de la foi sont identiques. Ne trouve la sécurité
que celui qui abandonne toute sécurité, qui pour
parler avec Luther est prêt à entrer dans les ténèbres
intérieures.
Nos contemporains
les plus férus de superstitions, de miracles et de sciences occultes
nen utilisent pas moins le téléphone et l’automobile
et n’ont plus peur d’une éclipse
totale de soleil, cest-à-dire quils se comportent comme
si le monde était entièrement profane. Leur action se moque
de leur pensée. Les croyants sérieux et cultivés
rejettent dailleurs avec mépris cette mythologie populaire.
Ils acceptent la science et la technique en justifiant cette attitude
par laffirmation que la science et la foi relèvent de deux
ordres totalement différents. Mais, sils repoussent la magie,
le spiritisme et toutes les formes du miraculeux païen, ils nen
admettent pas moins le miraculeux chrétien, quils ne démythologisent
que dans les cas les plus « choquants ». Ils ne croient plus
que lEucharistie indignement reçue puisse provoquer la mort
corporelle (I. Cor. 11, 30) ni que le Christ soit assis à la droite
de Dieu au sens naïvement littéral où lentendaient
les premiers chrétiens, mais ils acceptent sa naissance virginale,
sa résurrection, son ascension et sa venue à la fin des
temps telles que les rapporte le Nouveau Testament. Dune manière
générale, ils ont de Dieu et de son action une conception
« supra-intra-mondaine ». Ce sont des théologiens appartenant
à cette famille desprits qui ont le plus ironisé sur
la phrase de Bultmann: « On ne peut se servir de la lumière
électrique et de la radio, utiliser en cas de maladie les techniques
médicales et cliniques modernes et en même temps croire au
monde des esprits et des miracles du Nouveau Testament » (KM I,
18).
Il ne sert pourtant
à rien de déclarer sur un ton supérieur quune
telle assertion est « naïve », car ce nest là
quune manière de se fuir soi-même pour éviter
de mettre en question ses convictions les plus chères. Mieux vaudrait
ironiser sur son propre cas et se demander sil ny a pas, au
fond de lassurance que lon a, une angoisse fondamentale et
ce désir de sécurité qui est spécifique de
lhomo religiosus. Cette angoisse et ce désir conduisent
à une conception erronée de la foi. On confond lincarnation
du divin avec son objectivation. On ne voit pas que, si Dieu sest
vraiment incarné, aucun signe intramondain (aucun miracle) ne doit
pouvoir le déceler et que Jésus doit être entièrement
« profane »: ce nest que contre toutes les apparences
quon peut croire que cet homme totalement homme est « la parole
de Dieu ». (André Malet, Mythos et Logos, éd. Labor
et Fides, Genève, 1962, pp. 391-393.)
Nous faisons allusion à léclipse
totale de soleil parce que ce phénomène qui nest visible
en France quune ou deux fois par siècle, le fut le 15 février
1961 dans le Midi et le 11 Août 1999 dans le Nord, offrit à
lhistorien de la culture des observations aussi intéressantes
quà lastronome. Nous avons pu notamment constater,
par bien des témoignages directs, que lhomme le plus inculte
de notre temps se rendait simultanément compte de la libération
que la science lui avait apportée et de la terreur sacrée
qui devait être celle des anciens en présence de cet événement
insolite.
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