« Le
XXe siècle fut sans conteste le siècle de Friedrich
Nietzsche, même s'il mourut sur son seuil (en 1900), - le
XIXe siècle celui de Karl Marx -. Le philosophe qui
tua Dieu, détruisit l'Etat et nia tout espoir d'harmonie sociétale
correspond à une période où les foules furent anthropophages.
Que les totalitarismes brun et rouge aient usé d'abominables
contrefaçons de sa volonté de puissance et de son surhomme
montre à quel point il fut le penseur « utile » du
siècle des horreurs. »
Ce «psychologue
hors pair» a même devancé Sigmund Freud, excavant
l'âme humaine, ses refoulements, le complexe de culpabilité,
et débusquant dans l'Etat moderne le «monstre froid»
prophétisé sur la place publique.
Il y a tout juste
un siècle, F. Nietzsche sombrait dans la maladie et dans la folie.
L'insensé, il avait accompli sa tâche, une très
lourde tâche : en philosophe et non moins philologue, il s'était
attaqué à la religion et à la morale chrétienne
comme aucun autre n'avait osé le faire, pas même Voltaire.
Psychologue sans pareil, il dénichait les arrières-pensées,
les motivations secrètes et faisait la lumière sur les
vérités-mensonges de la foi et sur l'illusion d'une espérance
bienheureuse dans un "au-delà" hypothétique
par le renoncement aux plaisirs et au bonheur - toujours à construire
- ici-bas. Ce "belliqueux de nature" engagea la polémique
sous toutes ses formes (controverse, raillerie, parodie, ironie, trait...)
en se choisissant un ennemi à sa taille pour l'affronter d'égal
à égal, loyalement.
Au-delà du nihilisme, Nietzsche aspirait
à la reconstruction de nouvelles valeurs, à la victoire
sur l'hiver. Il se sentait porteur d'une tâche qui concerne le
futur. Comment un homme, dressé entre l'hier et le demain, prend-il
sur lui tout le fardeau de l'humanité afin de l'en délivrer
et lui ouvrir les portes du futur ? Le travail intellectuel assidu et
la solitude du penseur sont nécessaires. "Une expérience
tirée des sept solitudes".
Un siècle
après, les écrits de Nietzsche continuent de nous ébranler,
de nous féconder, de nous fournir les outils d'une démystification,
de nous désigner les aurores à venir. Il chante le "gai
savoir" et la danse des apparences comme art suprême. Et
avec quel style ! Ses aphorismes nous parlent et nous touchent, donnent
des éléments de base de réflexion et laissent le
champ libre à notre créativité pour la conclusion,
qui est seulement suggérée. Du grand art !
Qu'importe sa maladie ! Il la surmonte. Ce poète-philosophe survole
la maladie d'un monde dont il est l'un des premiers à dénoncer
la décomposition. Il ne ménage rien ni personne, critique
tout et se refuse à toute idéologie; mais c'est pour mieux
aborder l'avenir, pour venir nous enseigner le «surhumain»,
car "le surhumain, c'est l'avenir du genre humain". Voilà
pourquoi tout a changé depuis !
. Et pour vous, Christophe Barbier, qui sera le maître philosophe,
l'esprit étalon du XXIe siècle balbutiant ?
« Le modèle idoine ce serait... Hegel. Peut-être
notre époque est-elle trop complexe et trop centrifuge pour être
embrassée par un seul système, voire pour se laisser penser
? »
(Editorial de Christophe Barbier, paru dans L'Express du 16/08/07)