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La liberté est-elle un mythe ?

« Aussi longtemps que nous ne nous sentons pas dépendre de quoi que ce soit, nous nous estimons indépendants : sophisme* qui montre combien l'homme est orgueilleux et despotique. Car il admet ici qu'en toutes circonstances il remarquerait et reconnaîtrait sa dépendance dès qu'il la subirait, son postulat étant qu'il vit habituellement dans l'indépendance et qu'il éprouverait aussitôt une contradiction dans ses sentiments s'il venait exceptionnellement à la perdre. Mais si c'était l'inverse qui était vrai, savoir qu'il vit constamment dans une dépendance multiforme, mais s'estime "libre" quand il cesse de sentir la pression de ses chaînes du fait d'une longue accoutumance ? S'il souffre encore, ce n'est plus que de ses chaînes nouvelles : le "libre arbitre" ne veut proprement rien dire d'autre que ne pas sentir ses nouvelles chaînes.» (F. Nietzsche)

Nietzsche nous montre que nous avons nos chaînes. Mais moralement, nous aurions encore une liberté pour choisir le bien ou le mal : "Quiconque veut devenir libre ne peut le devenir que par ses propres moyens."

MON IDÉE DE LA LIBERTÉ

« La valeur d'une chose réside parfois non dans ce qu'on gagne en l'obtenant, mais dans ce qu'on paye pour l'acquérir, - dans ce qu'elle coûte. Je cite un exemple :
Les institutions libérales cessent d'être libérales aussitôt qu'elles sont acquises : il n'y a, dans la suite, rien de plus foncièrement nuisible à la liberté que les institutions libérales. On sait bien à quoi elles aboutissent : elles minent sourdement la volonté de puissance, elles sont le nivellement de la montagne et de la vallée érigé en morale, elles rendent petit, lâche et avide de plaisirs, - le triomphe des bêtes de troupeau les accompagne chaque fois.
Libéralisme : autrement dit abêtissement par troupeaux. Les mêmes institutions, tant qu'il faut combattre pour elles, ont de tout autres conséquences ; elles favorisent alors, d'une façon puissante, le développement de la liberté. En y regardant de plus près on voit que c'est la guerre qui produit ces effets, la guerre pour les instincts libéraux, qui, en tant que guerre, laisse subsister les instincts antilibéraux. Et la guerre élève à la liberté. Car, qu'est-ce que la liberté ? C'est avoir la volonté de répondre de soi. C'est maintenir les distances qui nous séparent. C'est être indifférent aux chagrins, aux duretés, aux privations, à la vie même. C'est être prêt à sacrifier les hommes à sa cause, sans faire exception de soi-même. Liberté signifie que les instincts virils, les instincts joyeux de guerre et de victoire, prédominent sur tous les autres instincts, par exemple sur ceux du «bonheur». L 'homme devenu libre, combien plus encore l'esprit devenu libre, foule aux pieds cette sorte de bien-être méprisable dont rêvent les épiciers, les chrétiens, les vaches, les femmes, les Anglais et d'autres démocrates. L'homme libre est guerrier.
- A quoi se mesure la liberté chez les individus comme chez les peuples ? A la résistance qu'il faut surmonter, à la peine qu'il en coûte pour arriver en haut. Le type le plus élevé de l'homme libre doit être cherché là, où constamment la plus forte résistance doit être vaincue: à cinq pas de la tyrannie, au seuil même du danger de la servitude. Cela est vrai physiologiquement si l'on entend par « tyrannie » des Instincts terribles et impitoyables qui provoquent contre eux le maximum d'autorité et de discipline - le plus beau type en est Jules César - cela est vrai aussi politiquement, il n'y a qu'à parcourir l'histoire. Les peuples qui ont eu quelque valeur, qui ont gagné quelque valeur, ne l'ont jamais gagnée avec des institutions libérales: le grand péril fit d'eux quelque chose qui mérite le respect, ce péril qui seul nous apprend à connaître nos ressources, nos vertus, nos moyens de défense, notre esprit, - qui nous contraint à être forts.
Premier principe: il faut avoir besoin d'être fort ; autrement on ne le devient jamais.
- Ces grandes écoles, véritables serres chaudes pour les hommes forts, pour la plus forte espèce d'hommes qu'il y ait jamais eue, les sociétés aristocratiques à la façon de Rome et de Venise, comprirent la libérté exactement dans le sens où j'entends ce mot : comme quelque chose qu'à la fois on a et on n'a pas, que l'on veut, que l'on conquiert... »
(Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, § 38
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AUTRES RÉFÉRENCES

Schopenhauer : Essai sur le libre-arbitre. "Illusion que cette notion de libre-arbitre ; l'homme devra approfondir sa connaissance de soi, c'est son seul espace de liberté." Pour lui, le caractère est individuel, inné et invariable, ce qui réduit la liberté à la seule liberté de pensée.
Blaise Pascal : Pensées : "La raison nous commande plus impérieusement qu'un maître", mais si "tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment", que "notre imagination nous trompe" et prévaut bien souvent, que "notre inclination à ne croire que ce qu'on est disposé à croire" dirige notre volonté, ou, si "la raison du cœur" l'emporte, sommes-nous si libres de nos choix ?
Discours de la servitude volontaire d'Etienne de la Boëtie
Montaigne : Essais, livre I sur la puissance de la coutume. "La vraie liberté est de pouvoir toute chose sur soi" a écrit Montaigne. Vous vous prenez pour une personne libre et indépendante. Qu'en est-il vraiment ? La souveraineté de la volonté est un leurre dû à notre vanité. Nietzsche parle ici de l'orgueil à se vouloir libre et du despotisme de l'ego. Même les maitres obéissent... à leur vanité, leur orgueil ou leur idéal.
Descartes : Méditations, IV sur le libre arbitre...
Spinoza : L'Éthique, appendice au livre I, (critique de l'illusion du libre arbitre)
Durkheim : Règles de la méthode sociologique chap. 1 sur la définition du fait social.
André Gide : «Le monde ne sera sauvé - s'il peut l'être - que par des insoumis.»

Libre-arbrite

sophisme, raisonnement apparemment logique mais erroné dans son principe dans l'intention d'induire en erreur, généralement.
L'homme libre est guerrier”. On doit bien comprendre ici que Nietzsche use de la métaphore du guerrier à la guerre pour dire que la vie est un combat et que s'il on veut se faire une place au soleil, gagner sa vie convenablement et se sentir libre, il faut se battre et d'abord se discipliner, se priver, savoir faire des sacrifices. Voilà ce que cela coûte ! Il n'est nullement question de soldats, de militaires obligés d'obéir à leur supérieur, - eux ont le moins de libertés-. Même chose dans cette formule de Nietzsche : “L'homme est fait pour la guerre, la femme pour le repos du guerrier”.

 
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