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Zèbres

La religion et l'amour

« Pourquoi exalte-t-on l'amour aux dépens de la justice et dit-on de lui les plus belles choses, comme s'il était d'une essence supérieure à elle ? N'est-il pas évidemment plus bête qu'elle ? - Assurément, mais c'est justement ce qui le rend bien plus agréable à tous : il est aveugle et possède une riche corne d'abondance; il en départit les dons à chacun, même s'il ne les mérite point, même s'il n'en a pas la moindre gratitude. Il est impartial comme la pluie qui, selon la Bible et l'expérience, trempe jusqu'aux os non seulement l'injuste, mais à l'occasion aussi le juste. »
AMOUR ET JUSTICE
. (Nietzsche)

Après tout, le premier commandement de Jésus n'a, semble-t-il, rien de bien extraordinaire:
- “Aimez-vous les uns les autres”. Évidemment, cela vaut mieux... et comment ?
- “Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur”. Avoir bon cœur, bien sûr ! Et faire la paix :
- "Pardonnez et vous serez pardonnés. Réconcilies-toi avec ton frère". Il dénie le droit à se venger.
- “Aimez vos ennemis”. Le christianisme est une religion d'amour et de paix.
Et puisque “Dieu est amour”, son Royaume est le Royaume de l'amour ! Hommes et femmes, nous y sommes tous invités.
Laissons un peu la philosophie et tournons-nous vers le concret. Je devine qu'en communauté, tous ces jeunes gens partageant tout dans d'amour; cet amour n'est pas seulement spirituel. La chair est faible, si l'esprit est ardent. L'amour humain procure tant de bonheur et aussi du plaisir, avouons-le, et "il n'y a pas de mal à se faire du bien". Et nageons dans le bonheur d'un grand amour partagé. Heureusement, ça existe.
Non, je ne plaisante pas. Les relations sexuelles sont bien naturelles, et il y avait chez des Gnostiques adeptes de Basilide des pratiques rituelles dites “spermatiques”, qui nous furent rapportées par Epiphane, lui-même horrifié de cela et de l'absurdité de sa doctrine (note). Cette répulsion écarta les chrétiens des sectes gnostiques dont la doctrine les avaient tout d'abord attirés ( il y avait encore alors au Moyen-Orient des orgies sacrées, les rituels d'amour avec les prostituées sacrées.)
Enfin, il n'y a pas de raison d'en douter; les femmes qui suivaient Jésus et qui l'assistaient, elles l'aimaient. On avait vu Marie-Madeleine lui baisant ses pieds et Marie-Salomé lui donnant l'hospitalité, mais où couchait-il ? - cela n'est pas précisé.
Parmi les 120 disciples réunis après la crucifixion, il y en avait des deux sexes. Et Jésus leur avait dit : "réjouissez-vous". Bref, nous ne pouvons pas croire que cette religion était contre nature et que les hommes et les femmes vivaient cloîtrés chacun de leur côté.
«St Paul et Barnabé, comme tous les apôtres, n'ont-ils pas le droit d'emmener une sœur qui soit leur femme ?» (I Cor. IX, 5) Peut-être serait-ce une épouse pour Paul (qui écrit à Philémon de veiller à l'enfant qu'il a eu en captivité) ! (V.10) En ces temps-là, les évêques pouvaient être mariés, avoir deux femmes. (Cf. première épître à Timothée III, 2) Il n'était pas encore question du célibat des prêtres...
C'est après que tout a changé. Que la vie monastique s'est répandue. Que l'Église est devenue riche et puissante... et qu'il a fallu se résoudre au célibat de tous les prélats (concile de Latran, 1516). Mais beaucoup de prêtres ne resteront pas toujours chastes... Facile de prêcher un Amour total, pur et parfait : abnégation, don de soi et chasteté. Mais la majuscule ferait croire alors que sans elle, l'amour est tellement profane...
Est-ce que cet Amour d'inspiration divine a apporté la paix et le bonheur sur Terre ? Non, il fallait seulement l'espérer pour l'au-delà. Comme si la vraie vie était ailleurs...
D'ailleurs, Jésus prêchait-il un amour désintéressé ? Le festin auxquels sont conviés les mortels est un appât pour les poissons de la pêche miraculeuse, les chrétiens. On loue ceux qui se sacrifient, mais c'est pour trouver une compensation qu'ils le font. L'amour avec un grand A ? Mais aux chrétiens, on leur prêche l'amour afin d'être admis au Ciel, l'amour du prochain afin d'être aimé de Dieu, afin d'avoir la récompense là-bas, après la mort... Leur prière est : « Notre Père, ...remets-nous nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous ont offensés.» (nos péchés). C'est un marché ! Un chantage pour avoir une place au Paradis. Et si ce Dieu exigeant n'est même pas capable d'amour désintéressé...
Maintenant soyons sérieux. N'avons-nous pas intérêt à nous entendre ?
L'altruisme, est-ce un idéal ou bien un leurre ? Pour Larochefoucault, la charité et l'amour sont rarement des actes totalement désintéressés : ce serait de la faiblesse, de l'hypocrisie ou de la vanité. Celui qui donne le fait souvent pour se donner bonne conscience, par vanité ; ou bien, il ne donne que le superflu, seulement ce dont il peut parfaitement se passer, les miettes du gâteau. L'altruisme, pour secourir les pauvres ou les malades, demande plus qu'une aumône ! Méfions-nous de ceux qui en profitent pour se servir d'abord, comme naguère parmi le clergé si riche et si puissant. Déjà, dans ses épîtres, St Paul réclame double salaire pour ses serviteurs zélés. On lui a ouvert un compte de droits et avoirs, et il ne cesse de réclamer un salaire de prêtre et au moins la nourriture et le vêtement.
Entre les idéaux chrétiens et la mise en pratique, il y a un fossé. Il a fallu la Révolution Française et l'épopée napoléonienne pour faire cesser les privilèges et les inégalités en Europe, proclamer les droits de l'homme et du citoyen, la liberté religieuse, et enfin, abolir l'esclavage. Que reste-t-il aujourd'hui de notre idéal de fraternité et de solidarité issu du christianisme ? Le communisme n'a pas été bien appliqué par les leaders. Pourquoi tant d'inégalités  aujourd'hui ? Ne faudrait-il pas plus de justice ? Le militarisme existe toujours et la guerre est encore plus meurtrière qu'avant. Les maîtres n'ont pas la même morale que les serviteurs, bien qu'ils feignent servir, eux aussi. C'est principalement sous la dictature de l'argent que l'on vit. En pays chrétien, l'esprit de fraternité issu de l'Évangile n'arrive toujours pas à s'imposer !

Suite

Note. Basilide, ennemi de tout excès (fréquent dans tout ascétisme), autorisait une liberté sexuelle moins nocive, selon lui, que les méfaits d'une chasteté forcée. Et comme sa doctrine cosmologique présente un "sperme" ou germe du monde, des disciples tardifs ont cru bon s'en tirer par des pratiques rituelles "spermatiques".(Encyclopédie des Mystiques, la Gnose, R. Laffont)
Les gnostiques chrétiens et la Gnose.

 
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