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Le sexe déifié
Depuis les temps néolithiques,
le phallus est un objet de culte. Ptolémée Philadelphe d'Alexandrie
faisait transporter dans les rues en procession religieuse un phallus
de cent vingt coudées dans le respect général.
A Hiéropolis, dans la
Syrie antique, un phallus énorme se dressait devant le temple de
la Diane (Artémis) : le prêtre pouvait se hisser à
son sommet et rester ainsi plusieurs jours en communion avec la divinité.
La force cosmique créatrice était conçue sous une
forme androgyne. D'une manière générale, le monde
antique révérait les organes sexuels masculins et féminins
dans leur représentation et leur attribuait une valeur sacrée,
en tant que source de fécondité et de protection.
L'énergie sexuelle
était considérée comme une manifestation du divin.
Le culte de la Grande Mère, donatrice universelle de vie, donnait
lieu à des manifestations orgiaques et sacrées : culte d'Ishtar
et Astaroth chez les Babyloniens, d'Aphrodite chez les Grecs, de Rama,
dieu l'amour en Inde, dans les temples du Soleil.
Chez l'homme, le désir de libération
s'associe de manière complexe au désir
sexuel. On peut dire qu'il y a oscillation perpétuelle entre
deux pôles opposés et parfois complémentaires; la
voie dionysiaque consiste à chercher la libération dans
l'excès orgiaque, la voie apollinienne tente une ascèse
par le contrôle des sens. Dans la tradition antique, une phase dionysiaque
était
suivie dune phase apollinienne et inversement.
Dionysos
est le dieu deux fois né, fils de Sémélé déesse-mère
fécondée et foudroyée à la fois par l'éclair
de Zeus, et né de la cuisse de son père où il a achevé
sa maturation. Lenfant divin est lépoux d'Ariane, déesse
égéenne des arbres. Lui-même, dieu de la végétation,
de la vigne et du printemps, de la joie, de la sève, principe et
maître de la fécondité animale et humaine identifié
au phallus. La procession du phallus occupe une place importante dans
les fêtes dionysiaques. Le bouc et le taureau lui sont associés
et constituent les victimes de prédilection dans les sacrifices
sanglants de la mise en pièces et de la communion des participants
à un festin de chair. Ce dieu de l'exubérance invite à
la rupture de tous les interdits et de tous les tabous. Lhistoire
de ces descentes aux enfers correspond à des phases de germination,
source de fécondité, symbolisant l'alternance des saisons,
de la mort et de la résurrection.
Dionysos
est une figure mythique extrêmement complexe. Le mot s'est affadi
pour nous et Eros ne symbolise guère que l'enthousiasme et le désir
amoureux. Mais, l'histoire du dieu et de son culte renvoie à toute
une tentative de libération et de spiritualisation par la
recherche de lextase sexuelle.
Dans ses excès
mêmes, le culte dionysiaque témoigne d'un effort pour rejoindre
le divin, pour s'affranchir des limites terrestres. Les débordements
sexuels et l'invasion de lirrationnel tendent au surhumain.
En ce sens, Dionysos symbolise un effort de spiritualisation par
lunion mystique.
Les hommes et les dieux
ne sont plus séparés, lhomme s'identifie au divin,
cherche à être possédé par le dieu dans l'ivresse
de la boisson, de la musique, de l'acte sexuel. La personnalité
limitée se trouve dissoute, le conscient est submergé ;
il y a là une libération à double tranchant, car
le même acte, selon lesprit dans lequel il est conduit, peut
être évolutif et spirituel, ou au contraire involutif et
matériel. Les orgies sacrées peuvent êtres divines,
les orgies profanes sont souvent bestiales... 
On retrouvera dans
le tantrisme la même ambiguïté.
Le culte destructeur de Dionysos s'apparente
au culte de Kali en Inde ; Kali, la déesse noire, la mère
universelle, mais aussi destructrice. Les rites symbolisant la mort du
Dieu étaient d'une grande violence : les animaux du sacrifice étaient
tués, mis en pièce et mangés crus et, en des temps
plus reculés, des jeunes gens auraient été sacrifiés.
Tel serait le sens du mythe de Thésée. De même,
les adorateurs de Kali, les Thugs, accomplissaient des meurtres rituels.
Ces aspects extrêmes des cultes de l'énergie sexuelle et
de la fécondité correspondent à ce que l'on désigne
comme magie noire. Plus généralement, les cultes de l'énergie
sexuelle s'apparentent à une cosmogonie sexuelle. La pluie, la
Terre et le soleil dansent entre eux, s'épousent, exécutent
l'acte primordial sexuel devant la création entière. Le
cosmos a des attributs et des rites sexuels. L'orage est un grand mariage
où la pluie et la foudre embrassent avec passion et furie le corps
réceptif de la Terre-mère (Les différentes expériences
exécutées récemment sur les plantes, montrent qu'elles
sont sensibles et réceptives au magnétisme humain).
Voilà qui éclaire
de manière nouvelle les rites de fécondité et les
copulations dans les champs au printemps. Chanter, danser, faire l'amour,
seraient une manière de stimuler le réveil de la nature,
et de favoriser la germination. L'univers apparaît comme un énorme
appareil sexuel qui se féconderait lui-même dans le plaisir.
La fécondité, c'est la vie même. La vie est sacrée,
le sexe est sacré. Les organes sexuels, générateurs
de vie, sont l'expression du divin en l'homme. On peut voir ci-dessus
les détails anatomiques sur le cratère d'Héraclès
et d'Antée, oeuvre d'Euphronios, au Louvre (j'ai colorié
le sexe)
Julius Evola,
philosophe et orientaliste italien, donne une étude particulièrement
documentée du tantrisme dans son livre, le Yoga tantrique.
Il considère qu'il s'agit là d'une voie actuelle même
si elle doit être réservée à un petit nombre.
Il reprend le même thème dans la Métaphysique
du sexe : le sexe, voie royale de la connaissance intérieure
et de l'illumination, se retrouve dans toutes les traditions, sauf dans
le judaïsme et le christianisme (encore qu'il y ait, dans certains
symboles juifs et chrétiens, une sublimation de cette démarche
métaphysique). La connaissance de la sexualité ouvre à
l'individu qui la pratique les portes du spirituel.
 Dans
notre époque affectée d'une luxure cérébrale
chronique est-il possible de transformer le poison en remède, de
redonner au sexe une dimension transcendantale ?
La plus grande force
magique de la nature ne saurait se dégrader entièrement.
Même dans l'étreinte banale, il y a une ouverture au-delà
des conditions de l'existence individuelle, un traumatisme de l'orgasme
qui ouvre sur l'infini. Dans l'amour profane vécu avec suffisamment
d'intensité, des phénomènes de transcendance apparaissent.
Mais ce n'est que dans les pratiques de l'amour sacré que l'énergie
sexuelle est véritablement utilisée à une fin d'éveil
par connaissance des énergies subtiles et conscience de l'union
des fluides.
Evola évoque
les grands mystères d'été à Samothrace, quand
la grande prêtresse parcourait les rangs des initiés, nue,
un serpent enroulé autour de son corps, et soudain possédée,
simulait des scènes d'un violent érotisme. Après
cette union avec le serpent, la grande prêtresse appelait à
elle l'un des initiés et s'unissait à lui publiquement :
l'instant était solennel. L'orgasme atteint par l'homme sans émission
de sperme constituait l'instant de la grande communion cosmique, de la
fusion universelle.
Autre exemple, celui
de la prostitution sacrée dans certaines sectes islamiques du Maghreb.
Elle doit conduire l'initié à l'orgasme intérieur.
Si l'homme répand sa semence, sa compagne s'enfuit en larmes, sous
les invectives des prêtres et de ses compagnes.
Après 1 500
ans d'imprégnation judéo-chrétienne, et dans un contexte
de civilisation matérialiste, l'homme d'aujourd'hui peut avoir
beaucoup de difficultés à retrouver la lumière du
sexe. Selon Evola, il n'est pas exclu que le sexe devienne de plus en
plus triste et uniforme, sans âme et sans signification. Là
encore, pourtant, il reste possible de remettre à l'endroit ce
qui est à l'envers.
Dans son livre, Force
sexuelle et Yoga, Elisabeth Haieh indique comment le Yoga
utilise la force sexuelle à l'acquisition d'une conscience suprême.
Elle souligne que tous les mots qu'elle emploie ne seront véritablement
accessibles au lecteur que lorsqu'il les aura expérimentés,
et dans un monde où la connaissance se consomme, il n'est pas superflu
de répéter : Connaître c'est être. Ce
livre doit pouvoir guider celui qui veut accéder à l'échelon
supérieur de la conscience avec l'assistance de la force sexuelle
maîtrisée, et dominer les forces de la nature... "Mais
il y a deux catégories d'êtres sur Terre : les vivants qui
déjà sont des êtres humains accomplis, et les mortels
qui ne sont encore que des hommes et des femmes. Tant que l'homme est
inconscient, il vit Dieu sous la forme de ses désirs sexuels; devenu
conscient, il vit Dieu comme son propre moi, son être réel,
comme je suis. Dieu est l'état de conscience de soi absolu".
La force sexuelle
est la clé qui ouvre la porte entre l'esprit et la matière,
de haut en bas elle transmet la vie dans le corps, de bas en haut elle
fait sortir l'homme de son animalité, et l'aide à vaincre
la mort. Tant que nous pressentons dans la sexualité des possibilités
de plaisirs encore inassouvis, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas
renoncer à la vie sexuelle. Seul celui qui dans cette vie ou dans
une autre a connu la sexualité et en a épuisé toutes
les ressources, peut parvenir à Dieu. Il faut grimper l'échelle
par le premier échelon, et il y a sept marches. Pour accélérer
son ascension, il faut concevoir la force sexuelle en énergie spirituelle
créatrice, devenir un mage blanc.
La carte du Tarot
qui représente le diable symbolise l'ambiguïté de la
force sexuelle : son bras droit dit solve, son bras gauche coagula,
et dessous deux démons enchainés (une chaîne de fleurs
est plus difficile à rompre qu'une chaîne de fer). Le signe
mâle est mis au niveau du sexe. Une autre carte, l'amoureux à
la croisée des chemins, avec d'un côté la femme qui
enchaîne avec des fleurs et de l'autre, la femme qui propose le
chemin qui monte.
Nous avons tous l'expérience
du tout : quand nous sommes très heureux, nous aimerions embrasser
le monde entier, nous dissoudre dans le grand tout comme la goutte
de pluie qui, tombant dans l'océan, devient un avec lui. Cet
amour qui tend à l'universel est le signe d'un avancement spirituel.
 De
grandes forces invisibles agissent sur les êtres qui vivent sexuellement
ensemble - même une seule fois - car la force sexuelle et l'amour
sont l'être humain lui-même. Tout ce qui se passe dans le
corps agit sur l'esprit, l'esprit édifie le corps et l'anime, vit
dans le corps et par le corps. Tout accord sexuel réel est
le fait d'une affinité spirituelle. Que signifie transmuter la
force sexuelle en énergie spirituelle créatrice ?

Ne pas dépenser la force sexuelle
par le canal du corps, ouvrir les foyers supérieurs à
travers lesquels l'énergie sexuelle se manifeste comme une énergie
spirituelle. Cet enseignement est aussi celui de l'alchimie
et des Rose+Croix. La résurrection par l'esprit. L'éclosion
de la fleur magique.
Quelle est la meilleure aide ? Les exercices
yoguiques, la concentration, la méditation, le travail physique
et spirituel, comprendre l'importance de la respiration, l'union charnelle
imite la respiration, l'union suit le rythme du souffle et des poumons
: chaque souffle est dispensateur de vie, tout comme la rencontre des
souffles. Pareille à l'union des corps, la respiration donne
la joie de vivre.
Les alchimistes et les Rose-Croix montrèrent
le chemin le plus court : animer les centres nerveux et cervicaux supérieurs
avec la force sexuelle comme combustible. L'Athanor est le corps
humain, le dragon, la force sexuelle contenue par la chasteté.
La pierre philosophale est l'omniconscience divine et sa domination spirituelle
magique sur toute lanature. L'élixir de vie est ce courant de feu
qui coule comme l'eau ardente, c'est-à-dire les hautes fréquences
de la conscience du soi divinque l'on peut également conduire dans
le corps comme on fait passer l'électricité au travers d'un
morceau de fer pour le charger, le rendre magnétique.
C'est le courant vital du logos, de la vie,
du soi divin. L'homme ne pense et ne vit en fonction de son sexe qu'aussi
longtemps que sa conscience s'identifie au corps. Être unis
dans l'amour et vraiment conscients de ne faire qu'un, c'est être
dans un état d'androgyne, réunir en soi les deux
pôles.
Dans le conte de La Belle au bois dormant,
la Belle endormie (la conscience) est éveillée à
la vie éternelle par la force de l'amour, par le feu de la force
sexuelle, par le baiser du prince, par le contact de l'esprit.
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