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"L'être innommable"

Dessin

« Il était gros, court, large d'épaules ; ses sourcils noirs se joignaient sur son nez aquilin, ses jambes étaient crochues, sa tête chauve, et il était rempli de la grâce du Seigneur. C'est à peu près ainsi qu'il est dépeint dans le Philopatris de Lucien, à la grâce du Seigneur près, dont Lucien n'avait malheureusement aucune connaissance....»
(Voltaire, Dictionnaire philosophique)

«C'est alors qu'apparut Paul... Paul, la haine tchandala contre «le monde», contre Rome, devenue chair, devenue génie, le Juif, le Juif errant” par excellence*... Ce qu”il devina, c”est comment, à l'aide du petit mouvement de secte chrétien, en marge du judaïsme, on peut allumer un «incendie universel », comment avec le symbole « Dieu en Croix» on peut rassembler en une somme de forces immense; tous les bas-fonds, toutes les séditions clandestines, tout l'héritage des machinations anarchistes de l'Empire. «Le salut vient des Juifs» - Faire du christianisme une formule pour surenchérir sur les cultes souterrains de toute espèce, ceux d”Osiris, ceux de la Grande Mère, ceux de Mithra par exemple - et pour en faire la somme : c'est dans cette intuition que consiste le génie de Paul. Son instinct était en l'espèce tellement sûr qu'avec une impitoyable violence à la vérité, il mit dans la bouche - et pas seulement dans la bouche - du «Sauveur» de son invention les représentations par lesquelles les religions tchandalas fascinaient - qu'il fil de lui quelque chose qu'un prêtre de Mithra pouvait également comprendre... Ce fut là son chemin de Damas: il comprit qu'il avait besoin de la foi en l'immortalité pour dévaloriser « le monde », que la notion d'«enfer» pouvait se rendre maîtresse de Rome, qu”avec l'« au-delà » on tue la vie... Nihilisme et christianisme : cela rime et cela ne fait pas que rimer...» (Nietzsche, L'Antechrist)

Sur le paulinisme...

«Le christianisme contient en son fond la rancune des malades, leur instinct dirigé contre les bien-portants, contre la santé. Tout ce qui est bien réussi, fier, pétulant, la beauté surtout, lui blesse les oreilles et les yeux. Une fois de plus je rappelle l'inappréciable parole de Paul : « Ce qui est faible aux yeux du monde, ce qui est folie aux yeux du monde, ce qui est vil et méprisé aux yeux du monde, Dieu l'a choisi » : c'était cela, la formule, «in hoc signe» a vaincu... la décadence. Dieu mis en croix - ne comprend-on toujours pas l'effroyable arrière-pensée de ce symbole ? - Tout ce qui souffre, tout ce qui est suspendu à la croix est divin... Nous sommes tous suspendus à la croix, par conséquent nous sommes divins... Nous seuls sommes divins... Le christianisme fut une victoire, et c'est une forme supérieure d'esprit aristocratique qui n'y survécut pas, - le christianisme a été jusqu'ici le plus grand malheur de l”humanité.» (Nietzsche, L'Antechrist)

N'est-il pas "l'être humain le plus laid" ? Paul, le véritable fondateur de la religion chrétienne, écrivait :

«Veuillez à ce que nul ne vous prenne au piège de la philosophie, cette creuse duperie à l'enseigne de la tradition des hommes et des forces qui régissent l'univers et non plus du Christ.” (Colossiens 2, 8). Son Christ n'est qu'un "principe", un archétype, un mythe "pour l'économie nouvelle et les temps nouveaux.»


Nietzsche, qui a fait une analyse psychologique pertinente de saint Paul, dans Aurore § 68, parle de "la vengeance contre le Témoin" dans Ainsi parlait Zarathoustra. Jésus est appelé le Témoin fidèle dans l'Apocalypse car "Il a rendu témoignage à la vérité". Selon Nietzsche, « c’est le plus laid des hommes qui est cause de tout : il l’a ressuscité. Et, quoiqu’il dise, il l’a tué jadis. Il a déshonoré le Chemin. Pourquoi s’est-il converti ? Et qu’a-t-il fait là ? » (cf. La fête de l'âne, in Ainsi parlait Zarathoustra )
Nietzsche reproche au christianisme de vouloir supprimer le désir, de combattre les instincts naturels vitaux (sexuels), de nier ainsi ce qui fait la vie - les passions humaines - par la culpabilisation à outrance. «J'appelle mensonger celui qui ne veux pas voir les choses telles qu'elles sont.» dit-il.
« St Paul a rétabli en pire tout ce que le Christ avait justement annulé par sa vie... le christianisme est devenu quelque-chose de foncièrement différent de ce que fit et voulut son initiateur (le Sauveur).(...) l'Église appartient au triomphe de l'antéchrist, tout aussi bien que l'État moderne, que le nationalisme moderne », selon Nietzsche (in Volonté de Puissance, publié après sa mort), lequel avait lu Stendhal, qui remarquait:
« C’est à la suite des principes prêchés par St Paul que l’opposition d’intérêts et même la séparation totale se fit entre un corps de prêtres et les citoyens. Ce corps de prêtres fit son unique affaire de cultiver et de fortifier le sentiment religieux ; il inventa des prestiges et des habitudes pour émouvoir les esprits de toutes les classes ; il sut lier son souvenir aux impressions charmantes de la première enfance ; il ne laissa point passer la moindre peste ou le moindre grand malheur sans en profiter pour redoubler la peur et le sentiment religieux ou tout au moins pour faire bâtir une belle église, comme la Salute à Venise. » (Stendhal in Chroniques Italiennes ).
Tel Eratostrate qui incendia le temple de Diane à Ephèse pour faire parler de lui, saint Paul alluma un incendie qui s'étendit à tout l'Empire romain. Certains présument même qu'il fut le commanditaire de l'incendie de Rome en 64 et que c'est ce pourquoi il fut crucifié la tête en bas.
Jugé après son forfait, le nom d'Eratostrate ne devait pas être prononcé. Idem pour Paul : cet antéchrist n'est pas désigné nominativement dans les épîtres... mais c'est "l'être innommable" de Nietzsche.
Dans l'antéchrist, Nietzsche écrit : «Ce qu'il devina, c'est comment on peut allumer un incendie universel à l'aide du petit mouvement de secte chrétien en marge du judaïsme.» Et, récemment, Gérald Messadié a titré son livre : "Paul, l'incendiaire".
Le Christ (judéo-christianisme) règne-t-il partout sur Terre comme aux cieux ?
Qui est “la grande araignée du monde” ? Elle a tissé sa toile et nous sommes ses proies. Pour Nietzsche, c'était l'Église.

 
La déviation (suite)

Lisez le Dictionnaire philosophique, de Voltaire, article sur Paul. Gallimard, coll. Folio classique (1994)

 
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