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Nietzsche et la musique
« Sans musique la vie serait une erreur » Crépuscule
des idoles, Maximes et pointes, § 33.
Est-il possible de comprendre la philosophie
de Nietzsche sans la musique ? Sa musique, en créateur de nouvelles
valeurs, en artiste et en rhétoricien, il la compose pour nous
! Dès La Naissance de la Tragédie
dans le génie de la musique, il y a de la métaphore dans
l'air ! Justement, c'est pour déployer sa verve contre la morale
chrétienne qu'il fait appel à Dionysos
et qu'il compose sa "musique nouvelle pour des oreilles neuves".
Il s'identifie à Wagner et écrira même contre Wagner,
le musicien - Le Cas Wagner sera suivi de Nietzsche contre Wagner
- car il souffre, en effet, de voir que la musique de Wagner a perdu le
pouvoir de transfigurer le monde, de dire oui au monde, qu'elle est devenue
musique de décadence et non plus "flûte
de Dionysos". Wagner était devenu un décadent, un homme
pieux !
Derrière le prosateur, on retrouve
donc le musicien. Car il y a un vrai travail de finition et les personnes
sensibles à la musique sont aussi sensibles à la musicalité
de ses textes, à son style. Nietzsche a le soucis du rythme, de
la respiration. C'est une des plus belles proses allemandes.
La musique est un art, elle résonne
en nous comme le chant des Muses, c'est un niveau de communication élevé,
aérien. Influencé par l'œuvre de
Schopenhauer, Nietzsche conçoit la philosophie comme art, non
comme science, l'art d'interpréter et, tel un musicien, Nietzsche
interprète ce qu'il ressent ; sur la vérité, il donne
une formule de musicien : « Il n'y a pas de vérité
; il n'y a que des interprétations ». Et même des interprétations
d'interprétations, bien souvent, avec le savoir livresque. "Tout
est représentation" selon Nietzsche, et celui qui prétend
à la vérité ment. Alors, la métaphysique,
la théologie serait-ce l'art du mensonge ? Tromper, à condition
de ne pas nuire : voilà bien le rôle de l'intellect, à
grand renfort d'imagination. C'est courant dans l'art du spectacle, de
la rédaction des mythes... et dans le théâtre,
en particulier. Tragédie musicale et opéra ; cela fait vibrer
l'âme depuis la nuit des temps.
« Nietzsche a été
baigné dans la musique dès son plus jeune âge. Très
jeune, en pleine crise religieuse, cherchant un échappatoire entre
savoir et croyance, Nietzsche voit dans la musique une 3ième
voie. Ayant reçu une bonne éducation avec des leçons
de solfège et de piano, il a composé des poèmes,
"paroles et musique".
« Malgré certains jugements très injustes sur sa musique, Nietzsche
était bon musicien, il jouait bien du piano et il est l'auteur de bons
morceaux. Il a continué à jouer après l'effondrement de 1889. A Iena par
exemple, il se rendait dans un restaurant et on le laissait jouer, improviser
deux heures tous les jours. Il a toujours joué du piano et, en particulier,
du Wagner. Nietzsche a commencé à composer très tôt, dès ses années de
lycée : ébauches d'un requiem (sans doute inspiré de Mozart), d'une messe,
d'un oratorio de Noël, d'un très beau miserere qu'il a dû composer
sous l'influence de Palestrina. Il y a de très belles pièces pour piano,
une quinzaine de lieder, des ébauches symphoniques qui, allant bien au-delà
de ce qu'on faisait de son temps, annoncent Richard Strauss. Nietzsche
travaillait des impressions qu'il recueillait à l'écoute des autres, comme
s'il discutait avec ceux qui pouvaient sentir comme lui. Ainsi, avec Beethoven
ou Chopin.» C'est ce que dit Paul Janz, auteur du catalogue des
uvres musicales de Nietzsche, et à cela il ajoute :
« La plupart de ses compositions musicales
datent de ses années d'études, avant donc ses années de philosophe. Ses
premières compositions épousent le style romantique de son temps ; elles
témoignent de l'influence de Schumann. Plus tard, dans cette grande composition
qu'est la Fantaisie pour piano, Nietzsche cite tout à fait consciemment
le Siegfried-Idyll de Wagner. Si Nietzsche est un musicien romantique,
comme philosophe, il cherche à surmonter le romantisme. Être resté
romantique, c'est un des reproches qu'il adresse à Wagner. Nietzsche refusait
le type de développement que l'on trouve chez Wagner. Il leur préférait
des morceaux plus ciselés, parfaits, fermés sur eux-mêmes et bien identifiés
comme on en trouve dans les opéras de Mozart, dans la Carmen de Bizet
ou chez Liszt. Nietzsche s'est essayé à de grandes compositions, qui ne
sont pas du tout influencées par Wagner. On a un amusant morceau pour
piano, qui se développe pour brusquement se transformer en une sonate
de Beethoven, qu'il appréciait particulièrement et qu'il a beaucoup joué,
avec Chopin. » (cf. Nietzsche et la musique, Magazine
littéraire n° 298 - avril 1992)
Le monde comme volonté et représentation,
de Schopenhauer
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