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La volonté qui manque
« Nous réfléchissons à la nécessité
d'un ordre nouveau
et aussi d'un nouvel esclavage, pour le renforcement, l'élévation
du type humain.» (Le Gai Savoir).
Bien des gens restent perplexes
devant certains propos de Nietzsche, ne sont-ils pas dangereux ? Qu'entend-il
par «éternel retour» ? Il a écrit
aussi une apologie de l'esclavage, car la classe aristocratique hellénique
n'aurait pu créer tant d'œuvres sans une armée d'esclaves.
Fait-il l'apologie de la cruauté ?
Par certains côtés,
nous vivons maintenant dans un monde nietzschéen, sans pitié
pour les pauvres et les faibles, fruit de l'idéologie capitaliste
ultralibérale, sous la loi du profit. La vie est-elle «fondamentalement
volonté de pouvoir, appropriation, domination ou exploitation»
? Tout instinct aspire-t-il à la domination ? Doit-on suivre toujours
ses instincts ? Certes, nos instincts de défense nous aident dans
la vie qui est pleine de dangers, et nos instincts sexuels ne sont là
que pour la régénération... Les animaux possèdent
ces instincts, natuellement, cela ne fait pas de nous des sauvages. Nous
pouvons accéder à une spiritualité supérieure,
avoir des sentiments humains, comme on dit, et maitriser nos émotions.
« Ce n’est pas le
fleuve qui est vôtre danger et la fin de votre bien et de votre
mal : mais au contraire cette volonté elle~même, la volonté
de puissance, — la volonté de vivre que rien n’épuise
et qui crée. La volonté de puissance est justement
volonté de vie », prétend Nietzsche. Il faut entendre
par là la volonté de se réaliser et la volonté
de pouvoir créer de nouvelles valeurs. C'est la voie du créateur.
« Inversion de toutes les valeurs », écrit-il
! Mais il faut remarquer son souci de vérité et de connaissance,
dans ses expressions bien à lui : «volonté de vérité»,
«avide de connaissance».
Notre monde nous renvoie-t-il
notre propre image ? Sous le masque des bonnes manières et des
bonnes intentions affirmées, se dissimule la volonté de
puissance plus ou moins agressive de chaque État qui se croit obligé
d'avoir d'extraordinaires moyens de défense armée. La volonté
de puissance (note) est-elle le moteur fondamental de l'être humain ?
« Volonté de vie ? Au lieu de celle-ci
je n'ai jamais trouvé que volonté de puissance. »
(Fragments*)
Humaine, trop bassement "humaine"
est souvent l'attitude de l'homme qui s'acharne à reproduire les
mêmes schémas de pensée, à avoir une morale
des plus ambigües, celle qui consiste à tolérer le
crime organisé par l'Etat tout en sanctionnant sévèrement
le criminel isolé. A peine sorti de l'école où la
violence est réprimée, nous sommes dirigés vers l'école
du crime, l'Armée, institution nationale qui prend le parti de
la violence, et quelle violence ! La plus terrifiante, la plus aveugle,
la violence des armes.
Nous sommes tous conditionnés.
Nous dépendons de nos gènes, de notre éducation,
de notre environnement. Quel désir nous anime, quelle passion nous
dévore, quelle crainte nous inhibe ? Quelle volonté l'emporte
sur l'autre ? L'État impose des obligations, mais comment sont-elles
déterminées ? Celui qui commande obéit bien à
quelque-chose. Si nous avons des droits, nous avons aussi nos devoirs,
et nos dirigeants ont plus de devoirs à rendre. Qu'ils nous rendent
des comptes, qu'ils soient clairs sur leurs choix, et qu'ils nous consultent
pour les grands choix.
Personne ne veut la guerre parmi
nous et, cependant, tout le monde la prépare à grands frais
! Quelle est notre volonté ? Avons-nous la volonté de faire
ce que nous voulons ? Le refus d'obéir est un droit vraiment imprescriptible.
Or, "l'instinct dominant est la volonté de puissance"
(Par delà Bien et Mal). Pas de puissance sans volonté
personnelle. Le besoin de dominer des uns suppose que nous supportons
d'être dominés, asservis. Est-ce nous qui nous conduisons
en larbins, toujours soumis à l'autorité ? (le Discours
de la servitude volontaire, de La Boétie, est toujours
actuel. Les gens prédèrent se laisser gouverner; ils font
confiance et délèguent leurs pouvoirs citoyens. Là
est la source de leur malheur).
Il serait temps de savoir et
d'admettre qu'il y a d'autres moyens que la défense armée
pour résoudre les conflits et instituer une paix durable. Ceux-ci
sont décrits dans des ouvrages publiés depuis des années
par les milieux non-violents : ils exposent, par exemple, comment dissuader
un éventuel envahisseur en rendant le pays rapidement ingouvernable
et ses moyens de production incontrôlables en cas d'attaque; il
y a divers moyens dont la moindre de choses serait la non-coopération.
Mais notre société, au contraire, n'engendre pas une forte
cohésion, et n'empêche pas la collaboration avec l'ennemi
: nous avons constaté cela dans les faits, en 1940-45. C'est peine
à voir que l'objecteur ou l'insoumis est incarcéré,
encore actuellement dans certains pays.
Qui rend ce monde cruel ? Maintenant
qu'il est question d'un "gouvernement mondial", que les frontières
sont abolies à l'intérieur de l'Europe, que l'on parle de
"grand marché unique", que la menace du bloc de l'Est s'est effondrée,
une seule Grande Puissance domine dans le monde, et sur tous les tableaux
! Géographiquement invulnérables, les U.S.A. se sont-ils
dotés d'une armée pour imposer leur loi au reste du monde
? Leur "nouvel ordre mondial", sonne-t-il la fin des Etats-Nations ? L'Europe
n'est pas une confédération démocratique. Les députés
européens n'ont pas le pouvoir de décision. Il y a longtemps
qu'il n'y a plus de démocratie directe et c'est bien mensongèrement
qu'on parle de "démocratie indirecte". Il faut voir ce qu'ils appellent
"élections" ! Sans parler des magouilles pour accéder au
siège et combien il faut de milliards pour se faire élire,
quand le débat de fond est éludé !
Nous vivons un nouvel esclavage.
Et cela empire pour nous si le chômage et les inégalités
s'accroissent. Qu'allons-nous faire ? Courber la tête et nous laisser
asservir ? Qui veut la mondialisation du système économique
néolibéral s'il provoque crise sur crise ? "Le mot pour
qualifier dignement ce qui est médiocre est, on le sait, le mot
"libéral"... Nietzsche le dit lui-même.
Cette conception mercantile du
progrès est en grande partie responsable de certains des plus grands
maux planétaires. Alors que la planète dérive vers une catastrophe écologique
globale, des compromis et des déclarations inefficaces ne font que retarder
les inéluctables échéances et l'heure des décisions difficiles.
Et voilà qu'Internet accélère
cette mondialisation ! Est-ce inéluctable ? Y-a-t-il une grande
conspiration mondiale ? Un gouvernement occulte du monde ? A côté
de faits indéniables (existence de la Trilatérale et du
Bildeberger Club, et tractations secrètes des maîtres du
monde), vous n'allez pas croire à ces histoires d'Aliens, de base
51, du disque de Roswell, inventées pour écarter les gens
des zones d'expériences nucléaires. Ne vous laissez pas
séduire par les délires de l'irrationnel, ni par les mensonges
de la désinformation.

Note. La Volonté
de Puissance avait été laissée à
l'état de notes, avec une ébauche de structure et avec le
vague projet d'écrire le livre parfait. Or, G.
Colli et M. Montinari ont montré que ce n'est pas Nietzsche
qui l'a élaboré et ses notes ont été manipulées
pour être publiées en 1901 par Élisabeth Nietzsche-Forster,
sa sur mariée à un nazi. A lire :
Nietzsche et le nazisme,
Arno Münster. Kimé, 1995.
La Volonté
de puissance n'existe pas, Mazzino Montinari. L'Eclat, 1996.
Les Juifs selon
Hegel et Nietzsche, Yirmiyahu Yovel. Seuil, 2001. Retour
texte
Nietzsche, Fragments posthumes VII, 1  |