|
Psychologue hors pair
« Dans tout ce qu'un homme laisse entrevoir de lui-même,
nous sommes fondés à nous demander : que cherche-t-il
à cacher ? Que veut-il dérober à nos regards ?
Quel préjugé espère-t-il éveiller en nous
? Et puis encore : quelles erreurs commet-il en se déguisant
de la sorte et jusqu'où va le raffinement de ce déguisement
? » (F. Nietzsche)
« Conquérant caché
sous un manteau de lumière », ce « psychologue hors
pair » était aussi un écrivain hors pair, anticonformiste
à souhait. Lisez un de ses ouvrages et savourez son style, varié
et vivant. En premier, son essai de philosophie de la culture qu'est La
naissance de la Tragédie, où il fait le parallèle
entre la civilisation grecque et la nôtre, en terme psychologique.
Contrairement à certaines idées reçues, Nietzsche
est un des précurseurs dans la découverte de l'Inconscient.
« Avant moi, la psychologie n'existait pas », affirme-t-il
dans Ecce Homo.
Ses analyses de Nietzsche sur
la conscience, la primauté des instincts, des affects et des désirs
sur la détermination, c'est à dire que nous nous décidons
en choisissant parmi nos volontés, non par volonté, font
partie de son œuvre. Le refoulement, le complexe de culpabilité
ou « mauvaise conscience », l'instinct
de vie et l'instinct de mort sont dans La Généalogie
de la Morale, et dans Par delà le bien et le
mal, idées que Lou Andreas Salomé rapporta
à Sigmund Freud. En 1920, Freud a repris
l'idée que l'agressivité relève d'un instinct primaire
inextricable. S. Freud a considéré Nietzsche
comme un précurseur intuitif de la psychanalyse. Nietzsche
a développé la thèse de la volonté de pouvoir,
mais défend la volonté de vie, la volonté de connaissance,
la volonté de vérité en parlant de sa probité.
L'une d'elles s'impose, mais ce n'est pas la volonté (du moi) qui
décide.
Il est le précurseur de la psychologie des profondeurs développée
par C.G. Jung :
Opposé à la morale
convenue, il enseigne l'évolution humaine vers l'individualisation,
par la libération des idées-reçus et des préjugés
hérités des traditions pour apprendre à se distinguer,
à ôter ce masque pour devenir vraiment
soi-même et à se surpasser. « Ou bien l'on cache ses
opinions, ou bien on se cache derrière elles.» a écrit
Nietzsche.
Premier psychologue
du prêtre (La généalogie de la morale),
il est, par conséquent, un philosophe maudit. Il est vrai que, derrière
son masque de philosophe-poète d'allure propre
et réservée, il passe pour le véritable Antéchrist
des derniers temps du christianisme. Un dangereux séducteur pour
libérer les esprits du complexe de culpabilité.
« S'il compte encore, c'est par sa
destinée fatale et, pour beaucoup, aujourd'hui encore,
par le danger qu'il représente », note Karl Jasper.
Disciple de Dionysos,
Nietzsche ne s'identifie-t-il pas au Diable, au Tentateur, à l'antique
Serpent ? Cet immoraliste est-il du côté des méchants
? Ce pourfendeur des idées-reçues avait-il atteint une telle liberté
de pensée que, sans nul doute, la folie s'est-elle
emparée de lui ? Est-ce parce qu'il était malade que Nietzsche
avala toutes les couleuvres de la vie avec les instincts les plus dangereux,
comme en témoigne son apologie de la cruauté et de la tentation
de domination, d'agression, d'appropriation et de violation du faible ?
On peut lui reprocher son manque de pitié, ne pas apprécier
son cynisme et choisir de ne pas le suivre, car
il proposa de dépasser la morale jusqu'à l'amoralisme, mais
non point l'immoralisme. Ainsi, il n'avait pas honte de s'en prendre au
socialisme alors qu'il bénéficia d'une pension à
caractère sociale !
Ses
livres ne sont-ils pas dangereux ?
Ont-ils inspiré les Nazis ? Ne fut-il pas trahi par sa sœur
? Élisabeth aida sa mère à le soigner mais donna de pieuses interprétations
de la maladie. C'est elle qui s'occupa de publier uvre posthume
de son frère. Mais elle épousa un Nazi et essaya de mettre l'uvre
de Nietzsche au service du national-socialisme. « Suprême trahison,
et dernier trait de la fatalité: cette parente abusive qui figure dans
le cortège de chaque penseur maudit.» (Gilles Deleuze, Nietzsche
aux P.U.F.).
H. Mann a écrit : «
Voilà un libre penseur qu'on ne possède jamais et qui, de
la manière la plus pressante, vous exhorte à penser, à
questionner. » Le psychologue prend la parole
La pensée de Nietzsche est parfois ambiguë et inquiétante.
Pourtant, si j'ai réussi en quelques pages à vous donner un aperçu de
la pensée de Nietzsche, ne m'en voulez pas d'avoir ajouté un prolongement
qui se veut plus actuel et écologique. Mais en ce qui concerne la paix
sur Terre, il est clair que Nietzsche avait un point de vue antimilitariste
: « Qu'importe la patrie ! » s'exclamait-il, « Vous
devez aimer la paix comme un moyen pour d'autres guerres »; et,
à mon sens, il nous conviait à d'autres combats, pacifiques ceux-là.
Éric Blondel a fait une bonne critique sur ce chercheur de connaissance
( Le cinquième évangile ). Lisez ce que l'un de mes
correspondants m'a envoyé : L’intellect
– source de connaissance ou d’ignorance de soi ?
Notes
masque : c'est ce que C. G. Jung appelle la persona,
fausse personalité qu'on se donne en société,
pour se faire valoir, en général. C. G. Jung parle même
de dissociation de la personnalité... à l'origine de la
schizophrénie.
destinée fatale : Nietzsche et le
Nazisme d'Arno Münster, Ed. Kimé (1995). Voir plutôt
cette
page web. 
|